Afrique du Sud : Jacob Zuma, les frères Gupta et l’un des plus gros scandales financiers du continent

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L'ancien président Jacob Zuma aurait surtout servi les intérêts de la famille Gupta, une fratrie d’hommes d’affaires d’origine indienne.

La commission Zondo, en charge d’une enquête sur les scandales de corruption du règne de Jacob Zuma, vient de publier son quatrième et avant-dernier rapport. Ce dernier révèle de nouveaux détails accablants sur la gouvernance de l’ex-président.  Celui-ci aurait servi de « pantin » à la famille Gupta, une fratrie d’hommes d’affaires d’origine indienne.

Du début de son premier mandat à sa démission forcée en 2018, Jacob Zuma n’aura fait que servir les intérêts d’une puissante fratrie d’hommes d’affaires indiens. Dénommés Ajay, Atul et Rajesh Gupta, ceux-ci auraient réussi à détourner plusieurs milliards de dollars des caisses de l’Afrique du Sud. De nouveaux détails viennent d’être dévoilés sur l’affaire, dans le quatrième et avant-dernier volet du rapport de la commission Zondo (du nom du juge Raymond Zondo, qui a dirigé l’enquête).

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Qui sont les Gupta ?

La famille Gupta est une riche famille d’origine indienne ayant de nombreux intérêts commerciaux en Afrique du Sud. Ils étaient présents dans plusieurs secteurs, notamment les équipements informatiques, les médias et l’exploitation minière.  

Leur arrivée en Afrique du Sud remonte à 1993. Au cours de cette année, les Gupta migrent de l’État indien d’Uttar Pradesh vers l’Afrique du Sud, pour fonder l’entreprise informatique Sahara Computers. La famille s’installe au Sahara Estate de Johannesburg, un complexe comprenant plusieurs manoirs. Ils développent progressivement leurs activités, pénétrant d’autres secteurs, dont notamment l’exploitation minière. Leur succès est tel qu’en 2016, Atul Gupta est devenu la septième personne la plus riche d’Afrique du Sud, avec une fortune estimée à 10,7 milliards de rands, soit plus de 623 millions $.

La famille s’est retrouvée au sein d’un scandale international, suite à des révélations concernant leurs relations avec l’ex-président sud-africain, Jacob Zuma. Ils sont indexés dans de nombreuses allégations faisant état de corruption et d’abus. Ils auraient contrôlé de nombreuses décisions du gouvernement durant le temps qu’a duré le règne de Jacob Zuma.  Face à ces accusations, ils quittent l’Afrique du Sud et s’exilent à Dubaï, aux Émirats arabes unis.

La première rencontre entre Zuma et les Gupta remonte à 2003, lors d’une réception organisée par la famille dans leur domaine. Depuis, la famille a été impliquée dans un certain nombre d’événements liés à l’ex-président et sa famille. Les Gupta sont également connus pour avoir été des partisans de Zuma lors de sa lutte pour accéder à la direction de l’ANC en 2005.

En 2018, la Commission Zondo a été mise sur pied pour faire la lumière sur le dossier. Plus de 300 témoins ont été interrogés depuis le début de l’enquête. Celle-ci a conduit à des révélations de plus en plus accablantes sur le président Zuma et ses rapports ambigus avec la famille Gupta. Le rapport de la Commission se décline en cinq volets, dont le quatrième a été dévoilé le 29 avril.

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Une arrivée au pouvoir controversée pour Zuma

Avant son ascension au pouvoir en 2009, Jacob Zuma était bien connu sur la scène politique sud-africaine. Il a fait son entrée au Congrès national africain (ANC) à l’âge de 17 ans et rejoint la branche armée de la lutte contre l’apartheid. Il devient une figure importante de la lutte anti-apartheid, notamment après son arrestation en 1975. Il est ensuite emprisonné durant dix ans à Robben Island. Après quinze ans d’exil, il retourne dans son pays et débute son ascension politique en 1990. Il devient vice-président de la République de 1999 à 2005 et accède à la présidence de l’ANC en 2007. Il est ensuite désigné comme candidat officiel du parti à l’élection présidentielle de 2009.

Cette candidature fait l’objet de nombreuses controverses. Déjà en 2009, Jacob Zuma était poursuivi en justice pour son implication dans divers scandales, notamment des agressions sexuelles et des actes de corruption. Une première procédure pour corruption lancée contre lui avait pris fin en 2006, faute de preuves pour l’inculper. La procédure judiciaire lui avait coûté son poste de vice-président du pays en 2005. Il a été accusé puis innocenté, un peu plus tard, dans une affaire de viol. Bien qu’il ait été acquitté, ses déboires judiciaires ont laissé des traces dans la mémoire des acteurs politiques sud-africains. C’est donc au cœur des polémiques qu’il sera élu pour diriger l’Afrique du Sud en 2009.

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Le « pantin » des frères Gupta

Ce titre, donné à un article publié par le Mail & Guardian, résume parfaitement le nouvel opus du rapport. Rendu public le 29 avril, il explique en profondeur le rôle joué par Jacob Zuma dans ce scandale désormais qualifié de « capture d’État ».

Depuis son accession au pouvoir, Jacob Zuma avait une fonction principale à remplir : servir les intérêts de la famille Gupta.  Selon Raymond Zondo, « le président Zuma était capable de renvoyer quelqu’un qui était excellent dans son travail si cette personne n’était pas préparée à collaborer avec les Gupta ».

En témoigne le cas de Nhlanhla Nene, ministre des Finances de mai 2014 à décembre 2015. Faisant part de ses préoccupations sur l’état des finances, ce dernier aurait été taxé d’incompétent par l’ancien président sud-africain. « Dans les autres pays du monde, les ministres des Finances ne disent pas au président qu’il n’y a plus d’argent, leur boulot est de trouver l’argent », avait rétorqué Jacob Zuma.  Quelques mois plus tard, il sera limogé après avoir demandé la mise en place d’un nouveau conseil d’administration à la tête de la compagnie aérienne nationale, South African Airways. Pourtant, selon Le Monde, les pertes de la structure avaient doublé entre 2012 et 2014, alors qu’elle était dirigée par un conseil d’administration à la botte des Gupta.

Par ailleurs, le premier chapitre de ce quatrième opus reprend le témoignage de l’ancien vice-ministre des Finances, Mcebisi Jonas au sujet d’une rencontre avec Rajesh Gupta, après le limogeage de son supérieur. On lui aurait proposé 600 millions de rands, soit près de 40 millions $ pour remplacer Nhlanhla Nene et exécuter leurs ordres.

Ce sera finalement Pravin Gordhan, un vétéran de la fonction publique, qui sera nommé pour remplacer Nene. Doté de bonnes intentions, il tente de mettre fin à la mauvaise gestion des ressources publiques. Son passage aura été de courte durée, puisqu’en 2016, il est poursuivi dans le cadre d’une enquête sur une certaine « unité voyou », chargée d’espionner les contribuables, du temps où l’administration fiscale était dirigée par Gordhan.

Ce mode de gestion a fait sombrer de nombreuses compagnies publiques dans la faillite. L’exemple le plus marquant est celui de la compagnie d’électricité Eskom, dont la dette s’élevait à plus de 26 milliards $ en 2019, soit 15 % de la dette nationale.

En 2021, Jacob Zuma est convoqué par la justice pour répondre de ses actes. Cependant, il refuse de comparaître devant la cour anti-corruption. Il est alors condamné à 15 mois de prison pour outrage à la justice.

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Des cabinets de conseil et d’audit impliqués

Des cabinets de conseil et des firmes d’audit de renom ont également pris part, de manière passive, au scandale. Dans le rapport du 29 avril, le cabinet McKinsey est mentionné dans un chapitre relatif aux détournements de fonds publics au sein de la compagnie nationale d’électricité, Eskom. Selon le Monde, il avait déjà été cité plus de cent-cinquante fois dans un opus précédent, en rapport à la compagnie nationale du chemin de fer, Transnet. Selon la même source, le cabinet aurait « empoché plus de 1,9 milliard de rands (124 millions $) grâce à des contrats verrouillés via le réseau des frères Gupta ». Ces accusations ont été niées par le cabinet, qui s’engage toutefois à rembourser 870 millions de rands (49 millions $) à Transnet, « par principe ». En 2018, elle aurait déjà restitué 1 milliard de rands, soit 62,3 millions $, à l’Eskom.

Une grande firme d’audit, à savoir la société britannique PricewaterhouseCoopers (PwC), a été également épinglée dans le dossier. Elle a été chargée de certifier les comptes de la compagnie aérienne South African Airways, de 2012 à 2016. Durant cette période, la société est accusée d’avoir toléré de nombreuses irrégularités, en validant les rapports de comptabilité de la société, à l’aveugle.

Un volet précédent du rapport lançait des accusations plus graves à l’endroit de la firme américaine Bain & Company. Celle-ci a été accusée d’avoir volontairement participé au détournement des services fiscaux « en concertation directe avec Jacob Zuma et la direction du fisc ». Elle aurait empoché au passage 164 millions de rands, soit près de 10,5 millions $.

Rappelons qu’en 2017, une autre grande frime du nom de KPMG s’était écroulée en raison de son implication dans les malversations des Gupta. La multinationale a été éclaboussée par les Gupta Leaks, une importante fuite de documents qui avait mis à nu le fonctionnement de l’entreprise des Gupta. Elle a par ailleurs renié un rapport qu’elle avait elle-même rédigé, dénonçant des irrégularités au sein de l’administration fiscale. Un peu plus tôt, l’affaire avait déjà fait tomber l’agence de relations publiques britannique Bell Pottinger, qui a été contrainte de céder ses opérations.

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