Avec plus de 3,5 milliards USD échangés en quatre ans, le Nigeria est aujourd’hui l’une des plaque tournante des échanges de crypto-monnaies. Les différentes tentatives de l’Etat pour encadrer l’usage de ces devises, offrent un panorama des enjeux liés à ces monnaies électroniques. Jean-Michel Huet, associé chez BearingPoint décrypte pour nous les risques et les opportunités des crypto-devises pour les Etats africains.
Comprendre.media: Au cours des quatre dernières années, le Nigeria a échangé l’équivalent de 3,5 milliards USD en crypto-monnaies. Quels facteurs expliquent cette forte adoption des cryptos dans le pays?
Jean-Michel Huet: Le cas du Nigéria est très intéressant car il s’agit du 3è pays au monde pour l’usage des crypto-monnaies après les Etats-Unis et la Russie. Les facteurs sont nombreux mais 4 me paraissent essentiels. D’un part l’économie du pays est assez inflationniste avec une dépréciation de la monnaie nationale. Les crypto-monnaies sont un moyen de limiter cet impact macro-économique. Ensuite ce phénomène s’inscrit dans le phénomène typiquement africain du succès des monnaies électroniques qui constituent un moyen d’échange monétaire fort développé sur le continent et en particulier dans la première économie africaine. A ceci s’ajoute le poids de la diaspora qui privilégie aussi ces modes de transferts d’argent. Ensuite, la démographie joue en la faveur de ce pays, le 7è au monde et même le 3è mondial pour les moins de 25 ans qui sont les plus sensibles à l’utilisation des cryptomonnaies. Enfin, dernier facteur on ne peut négliger l’influence d’un écosystème de fintech très fort dans ce pays.
Lire aussi: Xend Finance a lancé la première application crypto-bancaire en Afrique
C.M: Nous avons récemment assisté à une interdiction des crypto-monnaies par la centrale banque du Nigéria. Pourquoi le régulateur a-t-il initié cette démarche ?
J-M H: le Nigéria a surtout voulu privilégier la monnaie électronique de banque centrale, le e-naira, qui elle n’échappe par à la régulation, d’où le lancement de fin octobre 2021. Une monnaie électronique de banque centrale, par définition est bien contrôlée par la Banque Centrale et donc n’a pas les inconvénients des crypto-monnaies non régulées. Ces monnaies peuvent être basées sur la technologie blockchain d’ailleurs.
le problème n’est pas la crypto-monnaie en soi ni la technologie c’est l’absence de régulation afférente.
Jean-Michel Huet, associé chez BearingPoint
C.M: Quels sont les principaux risques que les crypto-monnaies pourraient faire peser sur le économie nigériane ?
J-M H: L’absence de régulation peut permettre tous les inconvénients des monnaies non régulées : la fraude, la fuite de capitaux, des spéculations et fluctuations de valeurs, les risques divers de trafics et de blanchiments mêmes sur des micro-paiements. Encore une fois le problème n’est pas la crypto-monnaie en soi ni la technologie c’est l’absence de régulation afférente.
C.M: Comment le régulateur devrait-il essayer d’atténuer ces risques ?
J-M H: Par des modèles régulatoires qui nécessite de mettre en place aussi un consensus de marché entre les différents acteurs : Etat, banques, opérateurs télécoms notamment. la structuration du marché peut passer par la mise en place d’un cadre définissant qui peut créer de la monnaie, y compris crypto, les règles d’interopérabilité associée. Tout ceci est possible mais prend du temps car nécessite un arsenal juridique mais aussi technique comme les plateformes d’interopérabilité.
Lire aussi: Binance restreint les comptes de cryptomonnaies nigérians pour des raisons de sécurité
C.M: La banque centrale a récemment lancé sa propre monnaie électronique. Quelle est la stratégie derrière ce mouvement?
J-M H: c’est un élément de réponse par rapport à la régulation des crypto-monnaies mais cela va au-delà. La monnaie électronique de banque centrale vise aussi à favoriser l’accès à une monnaie électronique fiable aux habitants des zones rurales faiblement bancarisés. Ces derniers ne peuvent pas, vus leurs faibles revenus, se permettre de supporter des fluctuations liées à la spéculation par exemple. Cette monnaie devrait aussi favoriser les paiements électroniques et donc le commerce du même mode. Plus globalement pour l’Etat c’est aussi un moyen de favoriser le développement de l’économie formelle en permettant à des nigérians de l’économie informelle de découvrir les avantages de l’économie formelle (le contract farming des agriculteurs par exemple). A terme, c’est aussi un moyen pour l’Etat de pouvoir espérer récolter de nouvelles taxes qui financeront écoles, hôpitaux et infrastructures.
C.M: De votre point de vue, quelles sont les principales leçons que l’on peut en tirer la dynamique du secteur des crypto-monnaies à laquelle nous assistons en Afrique ?
J-M H: Encore une fois les crypto-monnaies sont une opportunité à terme si et seulement si elles sont dans un cadre régulé. La vraie question n’est pas celle des crypto-monnaies qui sont un moyens pas une finalité. L’enjeu clé est le développement des moyens électroniques d’échanges financiers, de paiement pour tous les avantages dont j’ai déjà parlé. Un avantage supplémentaire à ne pas négliger notamment au Nigéria, celui de l’inclusion financière des femmes qui demeure un défi pour le continent.