Décarbonisation : Le Botswana rame à contre-courant

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Une mine de charbon en exploitation

Le président botswanais, Mokgweetsi Masisi, a procédé hier, mercredi 28 septembre, à l’inauguration d’une nouvelle mine de charbon dans la ville de Morupule. Ce nouveau gisement générera 1,4 million de tonnes de combustible par an. Il permettra au Botswana d’augmenter ses exportations de charbon, au moment où l’Europe en a plus que jamais besoin. À l’heure de la transition verte, un tel projet contraste fortement avec les engagements climatiques qui visent la neutralité carbone d’ici 2050.

Le Botswana veut booster sa production annuelle de charbon à 7,6 millions de tonnes d’ici 2027. Les mines dont regorge son sous-sol disposent de réserves estimées à 212 milliards de tonnes.

Celle qui vient d’être inaugurée à Morupule produira 1,4 million de tonnes de charbon par an et sera exploitée pendant plus de 30 ans. Elle permettra à court terme d’augmenter la production de la principale société d’exploitation de charbon, MCM, à 4,2 millions de tonnes par an contre 2,8 millions de tonnes actuellement.

Le contexte favorable en Europe

La hausse de la production de charbon est censée entraîner l’augmentation des exportations. Le président Masisi annonçait en mai 2022 que de nombreux responsables occidentaux s’étaient rapprochés de lui pour discuter d’éventuels partenariats énergétiques. Les pays concernés seraient en quête d’un million de tonnes de charbon par an. Avec la crise en Ukraine et les sanctions imposées contre Moscou, l’Union européenne (UE) s’était engagée en avril dernier à stopper les importations de charbon russe dès août 2022.

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Plusieurs pays dont la France, ont été contraints de relancer leurs centrales à charbon. L’Allemagne a même adopté deux décrets ce mercredi 28 septembre pour prolonger la durée d’exploitation de ses centrales afin de mieux s’armer contre l’hiver.

Toutes ces infrastructures de production énergétique qui se remettent en service auront besoin de matière première pour fonctionner, ce qui entraînera la hausse des importations européennes de charbon. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) avait prédit une augmentation de 7% sur les besoins de charbon en Europe en 2022. La réalité a été tout autre.

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La centrale à charbon Datteln 4 en Allemagne

Au premier semestre 2022, les importations européennes de charbon depuis l’Afrique du Sud ont explosé de plus de 700%. Les principaux demandeurs étaient la France, l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne et la Pologne. En juin 2022, l’Europe a importé 7,9 millions de tonnes de charbon thermique

L’opportunité économique et commerciale

Face à la hausse de ses besoins en charbon et la rupture des relations commerciales avec Moscou, l’Union européenne devait trouver d’autres fournisseurs pour s’approvisionner. C’est ainsi que le Botswana, avec ses importantes réserves inexploitées, est devenu l’une de ses alternatives sécuritaires. Une aubaine que les dirigeants du pays africain ne comptent pas laisser passer. « Le Botswana doit saisir ce moment opportun qui s’est présenté pour pleinement exploiter ses ressources afin d’alimenter les marchés émergents et diversifiés » a déclaré le président Masisi lors de la mise en service de la nouvelle mine de Morupule.

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La crise actuelle a fait flamber les prix du charbon sur le marché. La tonne du combustible vaut désormais 230 $ contre 75 $ en 2021. En atteignant le million de tonnes exportées vers l’UE, le Botswana pourrait générer 230 millions $ de recettes par an sur le marché européen uniquement. La vente du charbon au vieux continent représentera à lui seul près de 1,5% du PIB botswanais. À 7,6 millions de tonnes de charbon vendu, comme prévu d’ici 2027, le Botswana encaissera annuellement 1,7 milliard $ de recettes, soit plus de 10% du PIB, si le charbon restait au prix actuel.

Enjeux climatiques

Le charbon est aujourd’hui l’un des principaux responsables des émissions de carbone dans le monde. Si la Chine est aujourd’hui le plus grand pays émetteur de carbone au monde, c’est à cause de sa forte dépendance au charbon qui lui sert de combustible pour la production énergétique. En 2021, le charbon a entraîné plus de 40% de la croissance des émissions globales de carbone. Le combustible a généré, à lui seul, 15,3 milliards de tonnes de CO2. Il dépasse de loin le gaz naturel (7,5 milliards de tonnes) et le pétrole (10,7 milliards de tonnes).  

Malgré le danger, les autorités botswanaises veulent coûte que coûte exploiter le charbon qu’elles considèrent d’ailleurs comme l’un des principaux piliers du développement économique. Cette volonté contraste fortement avec les objectifs climatiques actuels, même si l’Afrique ne représente que 3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). L’accord de Glasgow sur le changement climatique demande aux pays de soutenir la transition verte pour réduire le réchauffement en dessous de 1,5°C.

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Comme tous les États signataires de ce pacte, le Botswana s’est engagé à réduire 45% de ses émissions d’ici 2030. Le président Masisi a même promis de faire passer son pays à l’énergie propre à l’horizon visé. La hausse de la production du charbon envisagée dans le même temps semble cependant aller à contre-courant de ces différents engagements climatiques. En doublant sa capacité d’exportation de charbon d’ici 2027, le Botswana aura du mal à tenir ses promesses environnementales.

Promouvoir l’énergie solaire sans pour autant abandonner le charbon

Si le Botswana fait partie des pays signataires du Pacte de la COP 26, il n’en demeure pas moins l’un des États ayant rejeté certaines clauses dudit accord. Le pays s’est totalement opposé au principe selon lequel les États doivent cesser tout nouveau projet relatif ou axé sur l’énergie fossile. Le Botswana veut bien promouvoir les sources d’énergie renouvelable. Cet objectif ne saurait cependant écarter la promotion des ressources fossiles disponibles. Gaborone veut tout autant développer le renouvelable qu’exploiter le charbon. Dans la politique botswanaise, les deux doivent aller de pair pour assurer le développement économique.

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Mokgweetsi Masisi, président de la République du Botswana

« Le Botswana a un énorme potentiel solaire » a indiqué le président Masisi. Le gouvernement envisage donc de construire des parcs solaires à travers le pays pour augmenter la part du renouvelable dans le mix énergétique. Un accord a été signé le 1er septembre dernier avec le norvégien Scatec pour construire et exploiter une centrale solaire de 50 MW dans la ville de Selebi-Phikwe. Les autorités botswanaises comptent également sur l’expertise des constructeurs chinois pour développer d’autres centrales solaires à Gaborone et dans le reste du pays.

L’alternative de la compensation carbone

Le Botswana dispose d’une autre solution pour atteindre ses objectifs climatiques. Celle-ci réside dans les nouvelles opportunités du marché mondial du carbone. Gaborone pourrait poursuivre ses projets de charbon tout en compensant ses émissions grâce aux crédits carbone qui seront émis par les pays absorbeurs de CO2. Le Botswana ne dispose pas de la couverture forestière nécessaire pour capter tout le carbone qu’il émettra. Seulement 20% du sol botswanais est boisé. À titre comparatif, la superficie d’un pays comme le Gabon est recouverte à 85% de forêts.

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La forêt couvre 88% du territoire gabonais.

 L’État centre-africain a d’ailleurs décidé de mettre à profit cet important atout naturel. Avec un taux de déforestation inférieur à 0,1%, il entend soutenir les efforts de lutte contre le changement climatique par la protection et la sauvegarde de ses forêts. Le gouvernement prévoit actuellement d’émettre 90 millions de crédits-carbone sur le marché mondial, une première dans l’histoire. Cette initiative permettra aux pays émetteurs de CO2 de compenser leur pollution en finançant la préservation de la forêt gabonaise. La vente des crédits-carbone devrait avoir lieu avant la COP 27 d’Égypte.

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Fidèle DJIMADJA