CEDEAO — Mali: l’art du contretemps

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Le président malien Assimi Goïta
Le Mali dirigé par Assimi Goïta, a été lourdement sanctionné par la CEDEAO

La communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest vient de voter un train de sanctions contre le Mali. La CEDEAO reproche à Bamako de ne pas avoir proposé un agenda clair pour le retour à un pouvoir civil. Si elle était attendue, la décision ne manque pas moins de faire sourciller.

Difficile en effet de ne pas se poser des questions au vu des enjeux auxquels sont confrontées les autorités maliennes, et qui sont d’ailleurs ceux de toutes la bande sahélienne. Bamako est aux prises depuis 2012 avec le péril djihadistes. Pour rappel, ces derniers sont sortis sur-armés de la crise libyenne qui a vu la chute de Muammar Khadafi. La progression des “fous de Dieu” a poussé la France a intervenir via l’opération Serval qui est devenu plus tard Barkhane. 

Depuis, le Mali a fait l’expérience d’un gouvernement civil qui a fait la preuve de sa rapacité, de sa gabegie, de sa corruption et de son incompétence. Il ne s’agit nullement d’opinions, mais de faits. Personne ne se souvient du passage d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) à la tête du Mali comme d’un modèle de bonne gouvernance. Son renversement, alors qu’il était sous la pression de la rue malienne a été saluée à Bamako. Du côté de Paris, on pousse des cris d’orfraies et essaie vaille que vaille de sauver le soldat IBK. Mais c’était mission impossible. Depuis, l’étau se resserre autour de la nouvelle équipe dirigée par Assimi Goïta. 

Qu’on ne veuille plus de treillis et de bruits de bottes dans les palais présidentiels, passe. Que l’on soit attaché à l’ordre constitutionnel, cela peut se concevoir. Mais, est-ce vraiment de cela qu’il est question? 

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Un deux poids, deux mesures inacceptable

Le Tchad a vu un conseil militaire de transition prendre les rennes du pays à la mort du président Idriss Déby Itno, sans que Paris ne bronche. Est-il utile de rappeler ici la vague des troisièmes mandats sur lesquels l’Elysée a fermé les yeux? Doit-on rappeler que le troisième mandat d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire a reçu la bénédiction de Paris, Emmanuel Macron se chargeant même du service après-vente dans une tentative de justification qui frisait l’indécence?

Ce qui est étonnant dans tout ceci, c’est moins la position des occidentaux, qui sont forts marris de voir les russes, via Wagner, venir empiéter sur leur domaine, que celle de la CEDEAO.

En effet, les pays membres de la communauté, sont tous à des degrés divers concernés par la menace djihadiste. Si (à quelques exceptions), la région avait encore une grande tradition démocratique, ça se comprendrait. Mais voir certains chef d’Etats se targuer de défendre la démocratie, l’ordre constitutionnel et l’Etat de droit, vaut son pesant de rire (ou de larmes, c’est selon). 

Pendant que ces messieurs se jouent les gendarmes du pouvoir du peuple, la menace djihadiste progresse. A l’heure actuelle, la seule chose qui devrait préoccuper est de savoir comment arrêter le cancer et faire disparaitre ses métastases. Il n’est pas coupable d’être cynique, quand la survie de nos Etats est en jeu. Donner sa chance au gouvernement Goïta et laisser cette équipe essayer de régler le problème, c’est ce qui aurait relevé du bon sens et de la realpolitik. Parler de démocratie et d’élections alors qu’une partie de pays est en proie à un conflit inter-ethnique sur fond de djihadisme, alors même que la souveraineté territorial est entamé, est, ma foi, assez cocasse. 

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Un dangereux précédent?

Une fois encore nos dirigeants démontrent leur capacité à nager contre le courant de la logique et de l’histoire. 

On peut également se demander à quoi serviront ces sanctions si ce n’est à radicaliser d’avantage le pouvoir de Bamako. La junte qui, quoiqu’on en dise, a encore le soutien de son opinion publique aura ensuite beau jeu de dénoncer l’interventionnisme occidental et la “traitrise” des pays frères. Si dans un mouvement de riposte, Goïta et les siens se retiraient de la CEDEAO, l’organisation se retrouverait face à un dangereux précédent. Désormais, tout dirigeant en désaccord avec les prises de position de la communauté pourrait faire l’option de la quitter. Ou comment ramener la région à la période avant 1975. La sagesse de la rue ivoirienne dit : «Si tu ne m’arranges pas, il ne faut pas me déranger». La CEDEAO aurait bien fait de s’en inspirer.