Adoption du Bitcoin en Centrafrique : Les risques d’un choix controversé

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Bitcoin-Centrafrique
Pays très pauvre, la République centrafricaine adopte le Bitcoin, une monnaie controversée qui menace le système financier mondial.

Au 29 décembre 2021, on comptait plus de 295 millions d’utilisateurs de cryptomonnaies contre 106 millions en début d’année, selon la plateforme Crypto.com. Les analystes du site indiquent qu’à cette allure, on pourrait atteindre le milliard d’utilisateurs d’ici fin 2022. Cette course effrénée vers l’utilisation des devises virtuelles suscite de plus en plus l’engouement de certains États. Le Salvador est ainsi devenu le premier pays au monde à adopter le Bitcoin le 7 septembre 2021. La Centrafrique n’aura attendu que 8 mois avant de rejoindre la barque. Une décision qui a été qualifiée d’acte infondé et irrationnel par des experts.

Le 27 avril 2021, la République centrafricaine (RCA) est devenue le premier pays d’Afrique et le deuxième du monde, après le Salvador, à reconnaître le Bitcoin comme monnaie officielle. Le projet de loi initié par le gouvernement à cet effet a été approuvé à l’unanimité par le Parlement.

D’après le chef de l’Etat, Faustin-Archange Touadéra, l’adoption de cette monnaie virtuelle est « une opportunité pour le développement économique et technologique de la RCA ». Bien qu’il soit docteur en Mathématiques, ses calculs concernant le Bitcoin sont bien loin de faire l’unanimité. Les experts en économie et en finance pensent que cette réforme est plutôt surprenante dans un tel pays.

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Défaut de bases solides…

La RCA n’a pas su poser les bases nécessaires pour se lancer dans cette course qu’elle pourrait perdre selon les experts. L’utilisation d’une monnaie virtuelle comme le Bitcoin exige la disponibilité de certains services indispensables, à savoir : l’électricité et l’Internet. Deuxième pays le moins développé du monde, la RCA fait partie des nations les plus dépourvues de ces services.

D’après l’Economist Intelligence Unit, moins de 15% de la population centrafricaine a accès à l’électricité. Or, selon l’Agence d’information sur l’énergie (EIA), la consommation énergétique du Bitcoin dépasse celle des pays tels que la Suède, les Pays-Bas et la Belgique. Le taux de pénétration de l’Internet est quant à lui de 11%. Dans un pays où plus de 7 personnes sur 10 vivent avec moins de 1,90 $ par jour, selon la Banque mondiale, très peu seront capables de s’offrir un forfait internet dans le 6e pays où l’Internet coûte le plus cher en Afrique. D’après les données du site Cable.co.uk, un gigabit de données mobiles oscille autour de 9 $ dans le pays depuis 2021.

Les autorités centrafricaines disent vouloir renforcer l’inclusion financière grâce au Bitcoin. Un objectif qu’elles auront du mal à atteindre, d’autant plus que leur cible ignore tout du produit qu’elles lui offrent. Interrogé par Zone Bourse, le PDG d’une entreprise locale de bois nommé Auguste Agou disait n’avoir rien compris de ce dont il s’agissait. « Bitcoin, qu’est-ce que c’est ? Que peut apporter le Bitcoin à notre pays ? » s’est-il interrogé.

Pour l’instant, les autorités n’ont donné aucun détail sur la manière dont elles comptent s’y prendre pour faire adopter la monnaie virtuelle. Quoi qu’il en soit, « (…) ne nous attendons pas à une adoption généralisée des cryptomonnaies dans le pays » a déclaré Nathan Hayes, analyste chez Economist Intelligence Unit.

Une mesure unilatérale

La RCA a pris la décision d’adopter une monnaie virtuelle sans en informer le régulateur financier régional. La Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) qui émet la seule devise fiduciaire utilisée dans le pays, n’a jamais été saisie par les autorités centrafricaines. Elle a été écartée du processus ayant mené à l’officialisation du Bitcoin. Une telle initiative pourrait entraîner des sanctions pour cet État de la zone CFA qui fait déjà partie des six pays les plus pauvres de la planète.

Un responsable de la BEAC cité par Jeune Afrique a déclaré que la loi d’adoption du Bitcoin par la RCA « est nulle et de nul effet, dans la mesure où elle viole les textes de l’Union monétaire en Afrique centrale (Umac) ». Un haut-cadre de l’administration des Finances d’Afrique centrale, dénonce quant à lui un affront à l’organisation régionale. « C’est un bras d’honneur aux principes communautaires. Cette décision semble une provocation destinée à entraîner l’expulsion de la Centrafrique de la zone Cemac et du Franc CFA. Les autorités de Bangui donnent aux pays voisins une raison de les expulser de la zone plutôt que d’assurer leur volonté unilatérale d’en sortir » a-t-il commenté. L’anonymat requis par ces deux responsables vise à ne pas officiellement opiner sur le sujet avant l’intervention des Chefs d’État de la sous-région.

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Une économie plus exposée

La particularité des cryptomonnaies réside dans leur volatilité couplée à une absence totale de régulation. Ce qui s’explique par les variations incontrôlées de la valeur de ces devises qui peut ainsi monter et chuter à n’importe quel moment, entraînant des pertes colossales ou des bénéfices énormes pour les utilisateurs. En 2021, le Bitcoin a bondi de plus de 150% à 68 991 $ l’unité avant de s’effondrer de 30% quelque temps plus tard. Cette année, la volatilité de la monnaie continue de montrer ses limites et ses risques. Sa valeur a encore chuté de 17% en février dernier.

Ces variations justifient d’ailleurs l’opposition très ferme des institutions financières internationales à l’adoption des cryptomonnaies. Toute légalisation du Bitcoin est une menace à « la stabilité financière, l’intégrité financière et la protection des consommateurs » selon le Fonds monétaire international (FMI). En supposant que les autorités atteignent leur objectif d’obtenir une forte adoption de la cryptomonnaie sur le marché local et d’attirer des investissements massifs dans l’économie, cette dernière sera vulnérable, voire très exposée aux fluctuations de la devise qui restera toujours instable. Ce qui pourrait se traduire par des pertes économiques massives lors des chutes des cours du Bitcoin.

Un cadre peu approprié

D’après Abebe Aemro Selassie, directeur du département Afrique au FMI, il faudra mettre en place une surveillance « très, très attentive » pour utiliser le Bitcoin en RCA. Sans oublier un meilleur cadre législatif, une véritable transparence financière et une bonne gouvernance. Autant de points sur lesquels la RCA a du mal à performer.

Le pays fait partie des plus corrompus au monde. L’indice de perception de la corruption était de 76/100 en 2021 selon Transparency International. En termes de gouvernance, le pays rejoint également le rang des mauvais élèves. Il ne figure d’ailleurs pas dans la liste des 104 nations les mieux gouvernées du monde, établie par le Chandler Good Governement Index.

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Le danger financier et économique

Selon une tribune publiée dans Le Monde par Nicolas Dufrêne, directeur de l’Institut Rousseau et Jean-Michel Servet, professeur à l’Institut des hautes études internationales du développement à Genève, « le Bitcoin devient un danger pour le système monétaire et financier et pour les citoyens ». Les États qui l’adoptent devront dépendre des spéculations qui s’opèrent sur son marché. D’après Chainanalysis, près de 98,7% des transactions en Bitcoin s’effectuent, non pour des raisons de transaction, mais plutôt pour des motifs de spéculation. « C’est la pire configuration possible pour un développement économique sain » selon ces deux experts.

Contrairement aux devises traditionnelles, les cryptomonnaies ne sont ni traçables, ni assurées. Elles sont donc privilégiées dans les cercles mafieux lors des opérations illicites telles que le détournement de fonds et le blanchiment d’argent. Des centaines de milliards $ sont détournés de l’économie réelle vers celle virtuelle, causant ainsi la déflation de la première. Dans un pays comme la RCA où la corruption et le manque de transparence sont si élevés, les portes seraient ainsi ouvertes au pillage des ressources nationales. Un crime dont on soupçonne déjà les mercenaires russes de la compagnie Wagner qui sont en relation avec le président Touadéra. Selon Thierry Vircoulon, spécialiste de l’Afrique centrale à l’Institut français des relations internationales (Ifri), cité par l’AFP, « le contexte, avec une corruption systémique et un partenaire russe sous sanctions internationales (pour avoir perpétré des crimes et des violences dans le monde entier, ndlr), incite à la suspicion ».

Salvador, le mauvais exemple ?

Le Salvador est devenu, depuis le 7 septembre 2021, le premier pays au monde à avoir adopté le Bitcoin comme monnaie officielle. Tout comme la RCA, il est un pays en développement où la pauvreté touche plus de 41% de la population. La légalisation du Bitcoin n’a malheureusement pas permis aux autorités d’atteindre leurs objectifs, selon une étude récemment menée par le National Bureau of Economic Research (NBER).

À ce jour, seulement 11,4% des compagnies opérant dans le pays déclarent avoir fait des ventes en Bitcoin. 71% des recettes issues de celles-ci sont aussitôt converties en dollars et retirées en espèces. Juste 12% sont stockées en Bitcoin dans l’application promue par les autorités salvadoriennes pour l’utilisation de la cryptomonnaie, le Chivo Wallet. Le rapport indique aussi qu’il n’y a que 20% des entreprises du pays qui acceptent les paiements en Bitcoin.

Lors de l’officialisation de la monnaie, le gouvernement salvadorien avait mis en place un bonus de 30 $ en Bitcoin pour tous ceux qui téléchargeraient le portefeuille Chivo. « La plupart des détenteurs de Chivo, après avoir dépensé le bonus de 30 $, ne se servent plus vraiment de l’application » selon les auteurs de l’enquête. Le portefeuille n’est souvent utilisé que pour recevoir du Bitcoin provenant de l’étranger.

Les transactions cryptographiques ne représentent que 1,6% des envois de fonds qui ont été effectués en février 2022, indique la Banque centrale du Salvador, citée par Cointribune. « Au premier trimestre 2022, nous ne trouvons presque aucun nouvel adoptant et la part des transferts de fonds en Bitcoin est à son point le plus bas depuis le lancement de Chivo Wallet ». D’ailleurs, poursuit le rapport, quasiment personne n’a téléchargé le portefeuille en 2022.

Des espoirs ?

Selon Abebe Aemro Selassie, les cryptomonnaies ne sont nullement « une panacée contre les défis économiques » en Afrique. Elles peuvent toutefois « contribuer à un système de paiement plus robuste » sur le continent. En RCA, « ce sera probablement difficile » selon Anicet-Georges Dologuélé, ancien Premier ministre centrafricain contacté par Bloomberg. « Nous manquons de connectivité, d’expérience, même l’énergie est un problème » a-t-il expliqué. Nevellan Moodley, responsable technique chez BDO Financial Services, estime quant à lui que la RCA n’a « vraiment rien à perdre » dans cette quête à l’adoption massive du Bitcoin par sa population.

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Fidèle DJIMADJA