L’un des discours à la mode en occident ces dernières années est le péril que représente la relation avec la Chine pour l’Afrique. Selon ces messieurs de Paris, Washington ou Londres, Pékin ne serait en Afrique que pour tondre le continent et n’a jamais eu les intérêts des africains à cœur. Il est facile de répondre, comme le font beaucoup d’Africains «Comme si vous, vous étiez là par charité chrétienne.»
Le discours alarmant des chancelleries occidentales a certes quelque chose d’hypocrite et peine à être audible, surtout au vu du passé complexe qu’elles entretiennent avec les pays africains. Mais qu’on ne s’y trompe pas, derrière tous les reproches qu’on peut faire à ce discours, il s’y cache quand même un fond de vérité.
Prenons l’ejiao par exemple. Vous n’en aviez peut-être jamais entendu parler. Moi, non plus, je ne savais pas ce que c’était il y a trente minutes, avant la lecture d’un article de The Conversation. Mais la découverte de son existence m’a arraché un rire désabusé.
Un marché d’environ 8 milliards $
Ce produit, très prisé en Chine, est fabriqué à base de collagène extrait de peaux d’ânes. Cette substance est ensuite mélangée à des herbes et d’autres ingrédients pour obtenir un remède qui renforce le sang, interrompt les saignements et améliore la qualité des fluides vitaux et du sommeil. Ce produit de la médecine traditionnelle chinoise, très prisé dans l’empire du milieu, se vend à 783$ le kilo. Le marché de l’Ejiao a plus que doublé en moins de dix ans, passant de 3.2 milliards $ en 2013 à 7.8 milliards $ en 2020. C’est un peu moins que le produit intérieur brut du Togo (8,4 milliards $) et plus de deux fois celui du Libéria (3,5 milliards $).
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La question que vous vous posez, si vous suivez bien mon propos est: Où trouvent-ils ces ânes? La demande a déjà entraîné une pénurie de ces équidés en Chine. Sachant que l’Afrique abrite 2/3 de la population mondiale des ânes estimée à 53 millions de tête, “la question est vite répondue” comme aurait dit l’autre.
Les chiffres du commerce d’ânes entre la Chine et l’Afrique sont difficiles à évaluer, mais la population des ânes en Afrique du Sud est passée de 210 000 têtes en 1996 à 146 000 têtes en 2019. Ce déclin est attribué par des études au commerce des peaux d’ânes. Selon des chiffres cités par le média tanzanien The Citizen environ 1.8 million de peaux d’ânes sont commercialisées chaque année, et ce volume est loin de satisfaire une demande mondiale évaluée à environ 4 millions de peaux.
L’âne, un catalyseur du développement en Afrique
L’un des grands problèmes du commerce de peaux d’âne réside dans la nature de la matière première. En Afrique, les ânes facilitent la vie de 158 millions de personnes. Soit environ 1,5 africain sur 10. Ils réduisent la pénibilité du travail pour les femmes et les enfants, surtout en milieu rural. Au Ghana par exemple, posséder un âne épargne 5 heures de labeur hebdomadaire à un homme adulte. Pour une femme ou un enfant, ce sont 10 heures de travail économisées. La possession d’âne par les familles a été un facteur favorisant la scolarisation des filles.
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Du côté des gouvernements africains, la réponse des pouvoirs publics a été variée mais globalement inefficace. Entre les tentatives pour créer une industrie formelle du commerce d’âne (Tanzanie), limiter les exportations d’ânes par l’instauration de quotas, (Afrique du Sud) ou encore de les interdire purement et simplement (Burkina Faso, Mali, Niger, Senegal), les pays se cherchent une voie. L’efficacité de ces mesures est fonction de la porosité des frontières et de la facilité à en sortir les équidés. Autant dire que le problème reste entier.
Un hypothétique partenariat gagnant-gagnant
Si une conférence panafricaine sur les ânes a recommandé un moratoire de 15 ans sur le commerce des ânes à l’échelle du continent, afin de permettre au cheptel d’ânes africains de se reconstituer et de permettre à l’Afrique d’organiser cette filière, il est difficile d’imaginer que cette recommandation sera suivi. Selon la chercheuse sud-africaine Lauren Johnston, qui a fait des travaux sur le sujet, le trafic d’ânes se nourrit de la pauvreté des populations tout en les enfonçant dans une pauvreté plus grande encore.
En face, la Chine présente une industrie de l’ejiao qui est bien organisée, qui elle, alimente un marché où la demande est portée par une hausse du revenu des ménages, un matraquage médiatique sur les vertus du produit et une population vieillissante qui investit massivement dans sa santé. Les deux parties pourraient construire des mécanismes assurant la durabilité de la filière, sous le contrôle de l’Agence chinoise de la protection animale. Une sorte de partenariat gagnant-gagnant en somme. Une idée qui arrachera peut-être un fou-rire à nos amis de Paris, Londres ou New-York.