Dare Okoudjou, vie et triomphe d’un génie béninois de la tech 

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Dare Okoudjou
Dare Okoudjou, CEO de MFS Africa

Invité sur un podcast par le cabinet McKinsey, lauréat du prix de la fintech 2022, le béninois Dare Okoudjou est l’une des personnalités les plus en vues des milieux financiers d’Afrique francophone. Cette notoriété, il l’a gagnée à la tête de MFS Africa, sa fintech qui permet à des milliers d’africains non bancarisés d’intégrer le système financier mondial. 

En juin 2022, le béninois Dare Okoujou a réalisé une opération peu commune pour une fintech africaine : racheter une entreprise américaine. Pour 34 millions $, le béninois et son entreprise MFS Africa ont acquis Global Technology Partners (GTP), un spécialiste qui fournit les architectures logicielles de la grande majorité des cartes prépayées utilisées en Afrique. Pour MFS Africa, spécialisée dans l’inclusion financière grâce au Mobile Money, c’est un développement logique, presque naturel, de son activité. Pourtant, il y a quelques années, le jeune béninois originaire de Porto-Novo, à la tête de cet empire en construction, ne se serait surement pas imaginé dans cette position. 

De Porto-Novo à New York

L’histoire de Dare Okoudjou commence au Bénin où il nait en 1976 d’un père enseignant et d’une mère infirmière. Après de brillantes études secondaires au Lycée Béhanzin de Porto Novo, la capitale béninoise, ses parents décident de l’envoyer poursuivre ses études à l’extérieur du pays. Le jeune béninois obtient alors une bourse pour effectuer des études d’ingénieur au Maroc. Il rallie Casablanca en 1995 pour une année préparatoire aux écoles d’ingénieurs du Lycée Mohammed V. Cette institution lui a ouvert les portes de la France, où il devient ingénieur après un cursus en télécommunications à l’école de Télécom Paris entre 1996 et 1999. A l’automne 1998, il obtient un stage de six mois à New York. C’est en y travaillant qu’il se rend compte qu’il ne trouvera pas l’épanouissement qu’il recherche sans retourner en Afrique. « Au cours de ces six mois à New York, j’ai réalisé que je voulais faire partie d’un plan plus grand. J’ai reçu de nombreuses offres d’entreprises telles qu’Ericsson et Alcatel, mais je ne me suis pas senti à l’aise dans ces entreprises », explique le béninois. Pour lui, le chemin est clair, à un moment, il devra retourner en Afrique. 

Dare Okoudjou s’exprime dans le Tech Talk du media « The Banker » (en Anglais)

Le retour en terres africaines 

 Dare Okoudjou se refusait à l’idée de travailler aux États-Unis, loin de l’Afrique. « En 1999, c’était le boom du « dotcom » (Internet NDLR). J’étais l’un des premiers à me spécialiser sur le sujet. À l’époque, beaucoup de gens n’avaient pas entendu parler de l’internet en Afrique, j’en étais ingénieur », raconte le béninois à Forbes. Faute de pouvoir rentrer directement en Afrique, il débute sa carrière en acceptant un poste de consultant en télécommunications au sein du cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC) à Paris en 1999. Par chance, son employeur l’envoie en mission en Afrique, sur des terres qu’il connait bien : le Maroc où il a fait ses études. Il est chargé de lancer lancer un réseau de téléphonie mobile au Maroc. Une fois la mission accomplie il travaille sur le lancement de la plateforme de Mobile Money de l’opérateur. En 2001, il démissionne étonnament de PwC pour rejoindre une ONG en Tanzanie.

Dare Okoudjou, de Porto-Novo à Johannesbourg

Un petit tour dans l’humanitaire

Un de ses contacts à PwC était lié au milieu de l’humanitaire tanzanien. « L’ONG s’occupait de 30 000 personnes dans un camp de réfugiés situé dans le district très peuplé de Nyanga. J’ai senti que je devais faire quelque chose de plus utile pour les gens que d’envoyer de temps en temps de l’argent à mes parents », explique Dare Okoudjou. Pourtant, il sera déçu de cet épisode en découvrant ce qu’il appelle le business des ONG. Les camps rivalisent d’ingéniosité pour aider les gens sans avoir l’intention de les libérer. Tout est fait pour qu’ils restent dans les camps. « Les réfugiés n’étant pas autorisés à travailler, ils vendaient ce qui leur était donné aux villageois qui travaillaient », explique Dare Okoudjou. Il se rend compte que le monde des affaires est moins sournois. « Au bout de deux mois, je suis retourné chez PwC, avant de m’inscrire à un MBA en 2005 », confie le béninois. Il obtiendra son MBA à l’Institut européen d’administration des affaires (INSEAD).

« À la fin de l’année 2008, j’ai réalisé que je voulais avoir ma propre activité, à savoir le transfert d’argent par téléphone portable »

Dare Okoudjou, CEO MFS AFRICA

MTN avant le grand saut dans le monde de l’entrepreneuriat

Pendant son cursus, l’ancien ministre des finances d’Afrique du Sud, Trevor Manuel, présente à sa promotion les opportunités du pays. La nation arc-en-ciel devient une destination intéressante pour Dare Okoudjou. En 2006 il part à Johannesburg où il rejoint le télécom MTN et travaille à la création de sa plateforme de Mobile Money. « C’était ce que je cherchais. Il y avait de la technologie et j’adore la technologie. Je connaissais parfaitement le transfert d’argent. Nous étions étudiants en France et nos familles béninoises nous envoyaient de l’argent. J’envoyais aussi de l’argent au Bénin, mais il y avait toujours des gens qui essayaient de nous arnaquer. J’ai écrit à MTN pour leur dire que je voulais venir travailler pour eux », confie Dare Okoudjou. En travaillant sur le projet, il se rend compte des enjeux liés au transfert d’argent mobile qui peut aider à l’inclusion financière de la majorité du continent africain qui se trouve hors des systèmes bancaires. « À la fin de l’année 2008, j’ai réalisé que je voulais avoir ma propre activité, à savoir le transfert d’argent par téléphone portable », explique le béninois. Il réunit 500 000 dollars et crée sa propre société de transfert d’argent à Johannesburg. Mobile Financial Services Africa commence par accompagner les réseaux de téléphonie mobile dans la mise en place d’un service de transfert. Il pense ensuite à l’usage pour le commerce et améliore les services fournis. « Je me suis fixé un objectif simple pour mesurer le succès de l’entreprise. Faciliter l’accès à l’entreprise de miel de ma mère à Porto-Novo, au Bénin, pour collecter les paiements de ses clients de tout le continent et rendre le processus aussi simple qu’un appel téléphonique », se rappelle Dare Okoudjou. MFS Africa lève 2 millions $ en 2011. Mais bientôt, après l’ouverture d’une dizaine de succursale, l’entreprise est dans le rouge financièrement. 

MFS Africa, le reseau des réseaux du Mobile money en Afrique

La tourmente de 2016 avant le bout du tunnel

Avec une trésorerie réduite, MFS Africa traverse une période sombre. « C’était si dur, j’ai eu du mal à payer les salaires, mes factures d’électricité », se souvient le béninois. Malgré tout, Dare Okoudjou refuse plusieurs offres de rachat. Il se met à la recherche d’actionnaire. C’est dans cette période compliquée que sa maison en Afrique du Sud est cambriolée.  Il se rendait en Côte d’Ivoire pour chercher un moyen d’y implanter une succursale. Pendant qu’il attend le vol qui le ramène chez lui, une société de sécurité l’appelle pour lui annoncer que sa maison a été cambriolée. « J’entendais mes enfants pleurer. Ma femme n’était pas avec eux. Je ne pouvais pas la joindre sur son téléphone et j’étais assis à l’aéroport d’Abidjan, sans argent et sans défense ». Pris d’une frénésie rageuse, il se met à écrire sur papier toutes les solutions qui lui passent par la tête pour sauver son entreprise et remettre sa vie sur le droit chemin.

Retour gagnant

Les semaines qui suivent, après avoir touché le fond, il réussit à trouver des investisseurs. Aujourd’hui  grâce à des collaborations avec des services de transfert d’argent mobile, avec des banques ou autres services de remittances, MFS Africa emploie  plus de 500 personnes réparties dans sept bureaux à travers le monde. La société revendique plus de 400 millions de portefeuilles mobiles dans au moins 35 pays. La persévérance de Dare Okoudjou et sa foi dans le Mobile Money ont payé. Selon le rapport 2022 du GSMA, l’association internationale des opérateurs de téléphonie mobile, les transactions mobiles en Afrique ont augmenté de 39 % en 2021 pour atteindre 701,4 milliards de dollars, soit 70 % du total mondial. De nombreuses plateformes de fourniture de services les reçoivent désormais. Sur un continent où 57 % de la population n’est pas bancarisée et où la population ne cesse d’augmenter, l’entreprise de Dare Okoujou a une carte à jouer sur un marché aux nombreuses opportunités, mais qui s’annonce hautement concurrentiel. Qu’importe, pour Dare Okoudjou ce ne serait qu’une difficulté de plus. 

Un futur prometteur

Devenu l’un des fournisseurs de paiement numérique les plus importants d’Afrique, MFS Africa continue de se positionner en tant que carrefour du paiement numérique. Respectée à l’international, la fintech a par exemple signé un accord avec le Centre du commerce international (ITC), une agence conjointe de l’Organisation mondiale du commerce et de l’Organisation des Nations unies, pour accélérer la numérisation des marchés africains. L’ONU a également subventionné MFS Africa pour promouvoir les transferts dans les zones rurales. Déjà connectée à plus de 60 % de tous les portefeuilles d’argent mobile d’Afrique subsaharienne, l’entreprise est en train de prendre une nouvelle dimension avec l’acquisition de GTP qui, il faut le rappeler, assure le fonctionnent de la plupart des cartes prépayées de la région. Par ailleurs, depuis juin 2022, l’entreprise de Dare Okoudjou a annoncé une extension au Nigeria, le marché le plus important du continent. Une installation réussie sur ce marché ferait passer MFS Africa dans une autre dimension. 

Laupes Tunde