Robert Matiru: «Unitaid a aidé à simplifier et améliorer le traitement d’innombrables personnes à travers le monde.»

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Robert Matiru
Robert Matiru, directeur des programmes chez Unitaid

C’est une de ces idées qui semblent toutes simples, mais qui changent le destin de l’humanité. En 2003 le president français Jacques Chirac propose la mise en place d’une taxe de solidarité sur les billets d’avions. Ce financement servira à centraliser les achats de traitements médicamenteux en faveur des pays en développement. Trois ans après naît UNITAID qui bénéficiera de ce financement afin d’accomplir cette mission. En 15 ans d’existence, l’organisation se sera concentré sur la lutte contre des pandémies comme le VIH, le SIDA ou encore la tuberculose. Avec Robert Matiru, directeur des programmes chez Unitaid, Comprendre.media revient sur les 15 premières années d’une organisation qui a réussi à marquer son époque.

Comprendre.Media: la grande actualité dans le monde sanitaire au cours des deux dernières années a été la pandémie de la Covid-19. Comment cette crise a-t-elle affecté les activités de Unitaid ?

Robert Matiru: Quand la pandémie de la Covid-19 a démarré, Unitaid a rapidement mis son expertise au service de la réponse de crise. L’organisation a joué un rôle clé dans le Dispositif d’accélération de l’accès aux outils de lutte contre la Covid-19 (ACT-A). Ce processus a permis aux agences mondiales de la santé d’unir leurs forces afin de développer et de déployer des diagnostics, des traitements, des vaccins et autres outils essentiels en un temps record. Cela a permis de garantir aux gens l’accès à des interventions de qualité, partout dans le monde. 

Cependant, la pandémie de la Covid-19 a eu un impact dévastateur sur les réponses aux maladies sur lesquelles nous intervenons habituellement (tuberculose, VIH et paludismes entre autres). Nous avons rapidement œuvré avec nos partenaires pour ajuster nos programmes afin de nous assurer de la continuité de nos services. Nous avons même eu le plaisir de voir certaines des stratégies innovantes et des produits (tels que les traitements préventifs contre le paludisme, l’utilisation des technologies digitales dans le traitement de la tuberculose ou les autotest VIH) aider à combler les écarts, permettant aux gens de continuer à bénéficier des soins, malgré les restrictions dues à la Covid-19.

lors de la pandémie nous avons également vu la répétition des anciens schémas de la santé mondiale où les pays à fort revenus ont thésaurisé les outils et les traitements nécessaires au contrôle de la pandémie

Robert Matiru, directeur des programmes à UNITAID
Children holding some of the first appropriately dosed, child-friendly paediatric TB medicines. Credits : TB Alliance

C.M: En tant qu’organisation visant à trouver des solutions innovantes pour prévenir, diagnostiquer et traiter les maladies de manière plus rapide, plus efficace et à moindre coût, quelles leçons avez-vous appris de la pandémie ?

R.M: La première leçon est que nous pouvons atteindre de grands objectifs en peu de temps, sur le plan sanitaire mondial, si nous avons l’attention, l’appui et le financement adéquat. Mais lors de la pandémie nous avons également vu la répétition des anciens schémas de la santé mondiale où les pays à fort revenus ont thésaurisé les outils et les traitements nécessaires au contrôle de la pandémie alors que les prix élevés et d’autres conditions mettaient gardaient ces produits hors de portée des pays plus pauvres dans un contexte de ressources limitées.

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C.M: Comment conciliez-vous l’impératif de profitabilité de l’industrie pharmaceutique avec votre mission d’apporter les traitements aux populations défavorisées ?

R.M: Notre travail est centré sur l’équité. Nous voulons toujours nous assurer que les produits sont accessibles et disponibles dans tous les pays. Cela veut dire souvent, chercher à voir comment baisser les prix afin que les personnes dans les pays à bas et moyens revenus puissent en bénéficier. Avec nos nombreux partenaires, dont les industries pharmaceutiques, nous signons des accords permettant de fabriquer des produits à prix abordable et en quantité suffisante. Ces accords prennent également en compte, l’impératif d’un retour sur investissement raisonnables pour les investisseurs privés de ces fabricants.

C.M: Le Medicines Patent Pool a signé des accords avec les fabricants de génériques pour produire un traitement oral contre la Covid-19. Pourquoi les fabricants de générique du continent africain n’ont pas encore saisi cette opportunité ? 

R.M: Les sous-licences permettront à 36 sous-licenciés à travers 13 pays d’Asie, des Caraïbes, du Moyen-Orient et de l’Europe de l’Est, y compris l’Ukraine, d’approvisionner 95 pays à revenu faible et intermédiaire en traitement oral de la Covid-19. Aucun fabriquant de générique de l’Afrique n’a encore signé cette licence (même si certains d’entre eux aient été proposés). Cependant, la majorité des fabricants ayant obtenu les licences seront en position d’approvisionner le continent Africain. Ces accords rendront possibles la compétition entre différents fabricants basés dans différentes parties du monde, ce qui contribuera à renforcer l’accessibilité et la sécurité de l’approvisionnement. Cela étendra de manière considérable l’accès à des traitements ambulatoires dans les pays à revenus faibles et intermédiaire. Unitaid espère que les autres fabricants, notamment ceux du continent africain, seront en mesure de signer de tels accords dans un futur proche, afin d’assurer une base géographique la plus large possible pour la fabrication de ces médicaments.

 Botshabelo Hospital, Lesotho : credits : Graeme Williams/Unitaid

En 2020, 33 millions d’enfants ont été pris en charge par cette prévention chimique contre seulement 1 million en 2013, soit une multiplication par 33.

Robert Matiru, directeur des programmes chez UNITAID

C.M: Dans le cadre de la lutte contre le paludisme, le projet ACCESS-SMC qui fait la promotion de la chimioprévention contre la malaria (SMC) a été un grand succès. Il a permis d’éviter 10 millions de cas de paludismes et 60 000 décès liés à cette maladie entre 2015 et 2017. Où en est-on dans le déploiement à grande échelle de cette solution en Afrique ?

R.M: Actuellement, la SMC est déployé à grande échelle, mais nous pouvons aller encore plus loin. Selon le rapport 2021 sur la lutte contre le paludisme, 13 pays de l’Afrique sub-saharienne exécutent ce programme. En 2020, 33 millions d’enfants ont été pris en charge par cette prévention chimique contre seulement 1 million en 2013, soit une multiplication par 33. Cela a été possible grâce à l’engagement de Unitaid qui a démontré la faisabilité de la mise en œuvre de la SMC et permis sa rapide extension à l’échelle que nous avons actuellement.

Malgré la rapide mise à échelle dans certaines régions, certains écarts restent à combler. Les efforts en cours dans le cadre de la SMC se concentrent sur son utilisation efficiente et sur un accès équitable dans les contextes les plus difficiles.

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Les études ont démontré que la SMC est bien toléré par les enfants ayant plus de 5 ans. Il peut également être administré au-delà des quatre doses recommandées, offrant des périodes de protection plus longues. Les pays ont débuté le déploiement des approches améliorées du SMC, répondant à des besoins spécifiques de différents lieux, y compris aux niveaux infranationaux. Cela conduira à des résultats plus efficients dans la lutte contre le paludisme.

Par-dessus tout, les campagnes de SMC ont été maintenues pendant la pandémie de la Covid-19. Il y a eu quelques rapports anecdotiques selon lesquels les programmes ont été affecté, mais nous avons besoin de meilleures données pour comprendre la magnitude de cet impact.

En raison du succès de la plateforme de mise en oeuvre de la SMC, des recherches sont en cours pour voir si elle peut être utilisé pour déployer d’autres interventions contre le paludisme tels que le vaccin qui a aussi été financé par Unitaid. Si cela est possible, cela permettra d’obtenir des résultats d’une grande efficience et de faire un impact. 

Unitaid est fier d’avoir contribué aux efforts ayant permis la recommandation, par l’OMS, du premier vaccin contre le paludisme.

Robert Matiru, directeur des programmes chez UNITAID.

C.M: Toujours à propos du paludisme, l’OMS a récemment recommandé l’utilisation à grande échelle du RTS,S, le vaccin antipaludéen. Vous avez contribué, avec GAVI et le Global Fund au développement de ce vaccin. Quel est la prochaine étape pour son déploiement ?

R.M: Unitaid est fier d’avoir contribué aux efforts ayant permis la recommandation, par l’OMS, du premier vaccin contre le paludisme. Les phases pilotes, à grande échelle, co-financées par Unitaid, Gavi et Global Fund ont démontré avec succès comment déployer le vaccin dans les conditions réelles tout en permettant une réduction de 30% des hospitalisations pour paludisme sévère. Suivant la recommandation de l’OMS, le conseil d’administration du Gavi a approuvé le financement du déploiement de ce vaccin en Afrique subsaharienne.Il y a actuellement un principal fournisseur du vaccin, avec une capacité de production limitée. Si la demande croît rapidement, cela pourrait engendrer des contraintes dans l’approvisionnement.

Unitaid recherchera des opportunités de répondre à ces défis d’approvisionnement afin de permettra un accès équitable au vaccin là où la demande existe. Pour assurer la disponibilité du vaccin dans le futur et son accessibilité, GSK, l’actuel unique fabricant du vaccin, a conclu un accord de transfert de technologie avec Bharat Biotech, qui deviendra le seul fournisseur du vaccin à partir de 2029. Unitaid cherchera également les moyens de soutenir l’utilisation du vaccin dans le cadre d’un ensemble d’outils, adaptés à différents contextes, tels que la combinaison avec d’autres stratégies et plateforme de prévention. 

Les phases pilotes de vaccination contre le paludisme sont toujours en cours et s’achèveront en 2023, et nous continuerons à collecter les données sur le déploiement efficace afin de les utiliser pour conseiller l’OMS sur l’implémentation à grand échelle du vaccin.

C.M: Unitaid est actif depuis 15 ans maintenant. Quelles sont les succès de votre organisation dont vous êtes le plus fier ?

R.M: Unitaid a aidé à simplifier et améliorer le traitement d’innombrables personnes à travers le monde. Les interventions sanitaires destinées à sauver des vies, qui constituent aujourd’hui, le cœur de l’action sanitaire au niveau global n’auraient pas été accessibles au plus grand nombre sans l’appui d’Unitaid. Nos succès s’articulent autour de quatre axes notamment : la formulation de médicaments pour enfants, le traitement du VIH, les avancés dans la santé des femmes, et l’accès à l’oxygène.

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La formulation de médicaments pour enfants : pendant des décennies, les enfants étaient traités avec des médicaments pour adultes, ce qui impliquaient des comprimés amers devant être coupés en des doses approximatives. Cela aurait rendu l’adhérence ou l’achèvement des traitements impossibles pour les enfants atteints de VIH ou de tuberculose par exemple. Unitaid a financé le développement de formules de traitement du VIH et de la tuberculose ou de traitement de paludisme, adaptées pour les enfants. Cela inclut des arômes de fruit, des doses fixes ou des médicaments dispersibles qui ont significativement amélioré la qualité des soins prodigués aux enfants et facilité la vie aux soignants. 

Traitement du VIH : en 2006, le traitement du VIH impliquait la prise de 24 comprimés par jours, avec souvent, des effets secondaires toxiques. Aujourd’hui, 90% des personnes sous antirétroviraux dans les pays à revenus faibles et intermédiaires ont accès au comprimé antirétroviral unique, efficace, abordable et sûr pour moins de 70 $ par personne par an, grâce à Unitaid et à ses partenaires.

Les avancées dans la santé des femmes : Unitaid a financé les recherches permettant aux femmes enceintes d’avoir accès aux traitements contre le VIF sûrs et efficaces qui permet de traiter le VIH tout en prévenant la transmission du VIH de la mère à l’enfant pendant la grossesse.

Oxygène : Unitaid a conduit les efforts mondiaux d’amélioration de l’approvisionnement et de l’accès à l’oxygène pendant la pandémie de la Covid-19, soutenant plus de 97 pays dans l’approvisionnement en oxygène. Nous avons également conclu des accords avec les plus grands fournisseurs d’oxygène médical pour étendre l’approvisionnement et réduire le prix pour les pays à bas revenu.