Si l’on devait désigner une rockstar des paiements mobiles en Afrique, ce serait lui. Le Béninois Dare Okoudjou dirige MFS Africa qui se définit comme le réseau des réseaux de fourniture de services mobile money. Présent dans 35 pays pour plus de 400 millions de portefeuilles mobiles connectés, la pépite sud-africaine a posé un pied dans le paiement par cartes bancaires en rachetant l’Américain GTP. Pour Comprendre.media, Dare Okoudjou se livre sur la genèse du mobile money et ses défis aujourd’hui, les développements de sa compagnie et les enjeux de la réglementation ou encore les opportunités offertes par la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA).
Comprendre.Media: votre actualité récente, c’est la levée de 100 millions $. À quoi servira cet argent concrètement?
Dare Okoudjou: notre objectif est de nous appuyer sur ce financement pour continuer à étendre nos opérations et offrir des solutions harmonieuses de paiement digital à nos clients afin de réduire l’importance des frontières physiques. Avec le capital que nous avons levé, nous prévoyons de financer nos acquisitions et de financer nos opérations. Notre objectif immédiat est de poursuivre notre expansion à travers l’Afrique, les USA et la Chine. Nous avons récemment finalisé l’acquisition de BAXI au Nigeria et de GTP aux USA. Notre levée nous permettra également de soutenir ces activités tout en construisant une infrastructure digitale durable et interopérable qui facilitera les paiements en Afrique.
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il y avait beaucoup de scepticisme sur la façon dont on pouvait se servir d’un téléphone portable pour transférer de l’argent de façon sécurisée, surtout dans des régions où la pénétration mobile était encore relativement faible.
Dare Okoudjou, CEO MFS Africa
C.M: D’outil mal compris par les régulateurs à ses débuts, à un statut de vache à lait des gouvernements aujourd’hui, comment expliquez-vous la trajectoire du Mobile money?
D.O: Le Mobile Money a commencé à s’implanter en Afrique, il y a maintenant un peu plus d’une décennie. À l’époque, il y avait beaucoup de scepticisme sur la façon dont on pouvait se servir d’un téléphone portable pour transférer de l’argent de façon sécurisée, surtout dans des régions où la pénétration mobile était encore relativement faible.
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La technologie a fait ses preuves et s’est révélée porteuse de changement, particulièrement dans les pays en développement où l’accès au circuit bancaire traditionnel était assez limité pour les populations. Depuis, les gouvernements, les institutions financières et les réseaux mobiles ont reconnu le potentiel du mobile money et ont pris des mesures pour soutenir son développement et son expansion.
Le Mobile money a également prouvé qu’il pouvait constituer un instrument efficace pour l’inclusion financière et rendre l’accès aux services financiers et la gestion de leur argent plus abordables pour les ménage aux revenus faibles. Mais paradoxalement, aujourd’hui ce service est victime de son propre succès. La tendance à la taxation du Mobile money.
Bien que nous comprenions l’importance des taxes en tant que source de revenus pour les gouvernements africains, il est important de souligner que toute régulation ou politique vise un équilibre en ce besoin de financer les Etats et les impératifs relatifs à l’inclusion financière des populations. En effet, cette inclusion financière a des bénéfices réels à long terme pour les pays à bas revenus et les nations à revenus moyens.
Il y a eu beaucoup de manque de confiance et les régulateurs ne comprenaient pas toujours les fintechs et le travail que nous faisions
Dare Okoudjou, CEO MFS Africa
C.M: à ces débuts que vous évoquiez, quelles étaient les plus grandes difficultés que vous aviez rencontrées dans l’implémentation de votre solution ?
D.O: à l’époque où nous avions lancé MFS Africa, il y avait peu de regulation autour des fintechs. Nous avons dû construire notre activité en établissant des partenariats avec des opérateurs mobiles qui eux étaient déjà régulés. Cela impliquait qu’avant que tout nouveau partenariat avec ces opérateurs ne commence effectivement, nous devions nous rendre auprès du régulateur de chaque pays et lui expliquer le service que nous entendions fournir à l’opérateur.
Il y a eu beaucoup de manque de confiance et les régulateurs ne comprenaient pas toujours les fintechs et le travail que nous faisions. Cela a débouché sur des retards dans l’ouverture de corridors de paiement et dans l’implémentation de nouveaux services.
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C.M: l’une des plaintes récurrentes des acteurs des fintechs est relative aux réglementations africaines du secteur. Il y a-t-il eu du progrès selon vous et sur quels axes les efforts devraient porter ?
D.O: il y a eu beaucoup d’évolutions positives au niveau de la régulation des paiements en Afrique ces dernières années. Plusieurs pays africains ont fait des efforts pour adapter leurs cadres réglementaires et se mettre au niveau de l’industrie des paiements qui est un secteur qui évolue assez vite. Néanmoins, il y a encore des marges d’amélioration.
Les fintechs continuent de rencontrer des difficultés et d’évoluer dans des environnements réglementaires complexes. La réglementation de l’industrie des paiements n’est pas toujours très claire dans plusieurs pays africains. Je pense que les gouvernements devraient continuer à se pencher sur l’harmonisation des législations relatives au paiement transfrontalier. Ils devraient retirer les barrières inutiles en matière de paiements domestiques et transfrontaliers sur les petits montants.
notre aspiration à long-terme est d’être présents dans toute l’Afrique. L’expansion est donc une priorité pour nous.
Dare Okoudjou, CEO MFS Africa
C.M: en juin dernier, vous annonciez l’acquisition de l’Américain GTP pour 34 millions $. Quels avantages compétitifs espérez-vous tirer de cette opération ?
D.O: l’objectif de cette acquisition est d’étendre notre offre au secteur de la gig economy (économie des petits boulots, souvent en ligne NDLR) en Afrique. Nous ciblons également le marché des voyages d’affaires. Enfin, nous visons les millions d’Africains désireux de participer au commerce digital mondial. Nous leur offrons des cartes de crédit reliées aux portefeuilles mobiles plutôt qu’à des comptes bancaires pour effectuer des achats en lignes en toute sécurité.
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Cette opération étend également notre base de banques et de fintech et apporte de la tokenisation au monde du paiement mobile en le connectant à l’écosystème traditionnel des cartes de crédit où règnent des acteurs comme Visa et Mastercard.
Cette acquisition nous donne d’autres avantages stratégiques. Ainsi, nous pouvons désormais fournir une plus grande variété d’options de paiement à nos clients. Nous étendons ensuite notre portée sur de nouveaux marchés. Enfin, nous renforçons notre position de leader dans l’écosystème du paiement mobile en Afrique.
C.M: quelques mois plus tôt, vous finalisiez la reprise de la fintech nigériane Baxi. Quelle est l’importance du marché nigérian pour MFS?
D.O: nous prévoyons de faire de Baxi un nœud vital dans notre réseau de paiements digital en permettant à nos clients d’effectuer des paiements régionaux et mondiaux depuis le Nigeria et en direction de ce pays. Cette opération participera à l’accroissement de notre base de clients et de nos volumes de transactions. Elle nous permettra également de renforcer notre position de plus grand hub panafricain de paiements digitaux.
Cette acquisition pourrait, potentiellement améliorer l’inclusion financière et accompagner la croissance de petites et moyennes entreprises au Nigeria, et même au-delà. D’une façon plus simple, notre expansion au Nigeria est un pas de plus dans la réalisation de notre mission qui consiste à réduire les frontières africaines en matière digitale.
C.M: vous venez du Bénin, vous avez été formé en France et votre entreprise est sud-africaine. Pour quelqu’un qui connaît les univers anglophones et francophones, qu’est-ce qui explique l’écart entre les fintechs d’Afrique anglophones et leurs homologues d’Afrique francophone ?
D.O: d’une façon générale, les fintechs en Afrique anglophone ont une plus grande valorisation que leurs homologues francophones. Cette réalité est portée par le fait que les fintechs anglophones attirent plus de financement, notamment les entreprises présentes au Nigeria, au Kenya, en Egypte et en Afrique du Sud.
Cette dynamique s’explique par la présence d’un marché plus large dans ces pays. On parle d’une population d’un demi-milliard de personnes pour les quatre pays combinés. Il faut ajouter à cela l’inexistence de la barrière linguistique pour les investisseurs américains et britanniques.
La ZLECA permet également aux acteurs du paiement de nouer des partenariats avec d’autres entreprises à travers le continent.
Dare Okoudjou, CEO MFS Africa
La plupart des fintechs s’appuient ou sur l’infrastructure mobile money ou sur l’infrastructure bancaire de leur pays. Dans le cas des compagnies misant sur l’infrastructure du mobile money, elle ne peuvent accomplir leurs ambitions que s’il existe des services de paiement mobile bien implantés sur leur marché, et si ces services sont ouverts à des partenariats avec des tiers par le biais d’API et des modèles commerciaux intéressants. En Afrique de l’Est, ces conditions sont déjà réunies. N’oublions pas qu’on parle du berceau du Mobile Money.
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L’Afrique de l’Ouest, et plus précisément les pays francophones de la région essaient de rattraper l’Afrique de l’Est depuis cinq ans environ. Il faut donc remarquer, quand on compare avec l’Afrique anglophone, qu’il y a peu de start-ups du secteur des fintechs qui ont émergé de la région sur les 3-4 dernières années. De surcroît, des marchés comme l’Afrique du Sud et l’Egypte disposent d’infrastructures bancaires plus solides qu’en Afrique francophones. Les start-ups de ces deux pays peuvent également s’appuyer sur ces infrastructures.
C.M: quels peuvent être les avantages d’un marché comme la ZLECA et comment les fintechs peuvent en tirer parti ?
D.O: la création de la ZLECA constitue un tournant majeur pour le commerce en Afrique. On parle en effet d’un marché unique pour les biens et services sur le continent. Ceci implique que les entreprises du secteur des paiements peuvent étendre leurs opérations au-delà de leurs foyers nationaux et donc aller chercher des clients dans d’autres pays du continent.
La ZLECA permet également aux acteurs du paiement de nouer des partenariats avec d’autres entreprises à travers le continent. Ces alliances peuvent permettre aux entreprises de paiement de s’étendre et de surmonter les difficultés liées aux infrastructures et à la régulation en travaillant avec des acteurs locaux qui ont une connaissance fine de leurs marchés nationaux.
notre aspiration à long-terme est d’être présents dans toute l’Afrique. L’expansion est donc une priorité pour nous.
Dare Okoudjou, CEO MFS Africa
C.M: vous êtes présent dans 35 pays et avez plus de 400 millions de portefeuilles mobiles connectés aujourd’hui. Quelles sont vos perspectives ?
D.O: notre aspiration à long-terme est d’être présents dans toute l’Afrique. L’expansion est donc une priorité pour nous. Nous nous concentrons également sur la consolidation des acquisitions que nous avons réalisées. Cela passe par l’harmonisation de nos entreprises et l’optimisation de nos activités existantes.
C.M: selon vous, quelles technologies peuvent être à l’origine de la prochaine révolution dans le secteur de la fintech ?
D.O: les paiements via la blockchain gagnent en popularité dans l’industrie de la fintech. Cette technologie intervient déjà via les paiements en cryptomonnaies. Au fur et à mesure que cette technologie devient connue et conventionnelle, nous voyons émerger des solutions de paiement basées sur la blockchain qui permettent de réaliser des transactions plus rapides, plus sécurisées et surtout moins chères.
L’Open Banking est aussi en train de transformer le secteur des paiements en permettant à des tiers d’offrir des solutions de paiement innovantes. Alors que de plus en plus d’institutions financières adoptent l’Open Banking, nous pouvons voir émerger des solution de paiement offrant plus de flexibilité et de confort aux utilisateurs.
Propos recueillis par Aaron Akinocho