Le sahel fou

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Les pays du Sahel actuellement en proie à une vague de putschs sur fond d’insécurité liée au terrorisme

Mali, Guinée, et peut-être bientôt Burkina Faso? Face à l’actualité marquée par les putschs et les tensions entre l’armée et les pouvoirs démocratiquement élus, on est tenté de se poser une question: le Sahel serait-il devenu fou?

Il y a de quoi s’interroger car dans son ensemble, à quelques exceptions notables, l’Afrique de l’Ouest semblait avoir refermé la page de son histoire qui avait vu l’intervention régulière des militaires dans la vie politique. Les présidents – colonels, généraux et autres “camarades” semblaient avoir trouvé leur place dans les greniers de l’histoire. Comment peut-on expliquer qu’ils en ressortent progressivement?

L’Afrique de l’Ouest a plus ou moins connu trente ans de démocratie. Ou pour être plus juste, trente ans d’alternance et de gouvernance par des personnes élues, généralement des civils. Qui a réellement questionné ce nouvel ordre qui a prévalu? Quels en ont été les résultats? Qu’en pensent les populations?

Les élites africaines ont exhibé le totem de la démocratie et se sont crues à l’abri derrière lui. La corruption, la gabegie, le clientélisme, l’instrumentalisation du régionalisme et du tribalisme? Autant de travers que le nouveau système a considéré comme des péchés véniels, sûr de son insubmersibilité. On pouvait mettre d’autant moins d’énergie à combattre ces maux, qu’on était certain que le postulat ne changerait pas. La démocratie était la panacée aux aspirations des peuples. Au pire, on changeait de tête, on prenait les mêmes et on recommençait.

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Et quand on interrogeait sur les progrès sociaux, le bien-être du peuple, son éducation, sa santé, les “experts” nous répondaient, sur un ton docte, que c’était long le développement. On était en route. On avait une boussole qui indiquait à coup sûr le nord. Qu’importe le chemin, puisque tous les chemins menaient à Rome. La démocratie, voilà le talisman.

Pour un peu qu’on se conformait aux injonctions des institutions internationales, pour un peu qu’on faisait bonne figure auprès de ses voisins, pour un peu qu’on ne dépassait pas trop, on était assuré de régner en paix. Les plus chanceux pouvaient même avoir droit à un ou deux mandats supplémentaires avec la bénédiction des grandes puissances. La démocratie était devenue une religion.

Ce qui est ironique, c’est qu’aujourd’hui, ces régimes tombent les uns après les autres au nom de la démocratie. Car c’est bien au nom de la démocratie que la France et les USA ont fait sauter le verrou libyen. C’est au nom de la démocratie que fut renversé Muammar Khadafi, déchaînant sur les Sahel des hordes de barbares sur-armés.

Ne nous trompons pas. Le djihad n’est qu’un prétexte. Ceux qui s’en servent aujourd’hui comme idéologie ne visent que la prospérité de leurs petits trafics et le contrôle sur de vastes bandes de terres où l’Etat n’avait jamais eu de toutes façons qu’un présence anecdotique.

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Ce que paient aujourd’hui les Etats du Sahel, c’est de ne pas avoir fait de leurs territoires des nations. De ne pas avoir cherché l’unité à tout prix. D’avoir caché des petits calculs sous de grands principes, bref, ils paient le prix pour ne pas avoir dirigé. Si la caricature des rois-nègres peut sembler insultante, il faut néanmoins souligner que les fastes du pouvoir semblent plus intéresser nos élites, que l’exercice du pouvoir lui-même. Le silence complice de puissances coloniales embarrassées par leur histoire avec l’Afrique subsaharienne a permis à la fête de se poursuivre longtemps. A des peuples qui se plaignaient de ne pas avoir de pain, nos dirigeants ont répondu : “Qu’ils mangent du son.” Marie-Antoinette peut dormir tranquille, ses fils d’Afrique noire ont retenu la leçon.

Le spectacle indigne de milliers d’Africains se noyant dans la Méditerranée. Il n’a suscité aucun changement véritable dans la façon dont nous étions dirigés. Et l’on s’étonne du soutien des masses aux militaires. Et l’on s’étonne que les Africains soutiennent Goïta au Mali, alors qu’on a laissé prospérer des démocratures. Les élites désormais amnésiques, n’ont qu’un mot à la bouche : “Ordre constitutionnel”. C’est à en pleurer de rire. Ou à en pleurer tout court.

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Dans les salons où ces élites font assaut de culture et de pédantisme, on a oublié que rien n’est immuable. La monarchie française qui a prévalu pendant dix siècles a fini à la guillotine parce que le peuple manquait de pain. La règle du pouvoir est extrêmement simple : pour le conserver, il faut contenter le plus grand nombre. Voilà pourquoi la satisfaction, même a minima, des aspirations populaires n’est pas vertu, elle est gage de survie politique.