Quelques années après son expérience de Premier ministre, puis de candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2016, Lionel Zinsou est revenu au Bénin. Dans des habits d’économiste et de banquier d’affaires, plus à sa mesure, il est resté à Cotonou le temps de l’inauguration de l’exposition, « Art du Bénin, d’hier et d’aujourd’hui, de la restitution à la révélation », à la présidence de la République. Dans sa résidence, il a accepté de s’ouvrir aux questions de Comprendre.media. Avec son éternel sourire et sa vivacité intellectuelle, il a partagé ses vues sur la restitution, la menace terroriste, les relations entre la France et l’Afrique, la dette des pays africains et la relance post-covid de nos économies. Entretien exclusif.
Comprendre.Media : Les 26 oeuvres restituées par la France sont enfin exposées à la présidence du Bénin au terme d’un processus qui fut long et complexe. Quel est selon vous, la portée d’une telle exposition ?
Lionel Zinsou : À mon avis, il y a beaucoup de significations, beaucoup de sens. Le premier sens, c’est qu’on n’a rien demandé d’exorbitant, on a demandé l’application de la règle de droit. Nous avons été pillés, nous exerçons notre droit à dire : c’était une guerre injuste, la colonisation était un crime. À nos yeux, c’est un crime et parfois même, aux yeux des colonisateurs, c’est un crime. Et donc on fait valoir un droit.
On a tenté d’opposer la loi aux pays qui demandent cette restitution en disant : « Ah oui, mais maintenant, là où elles ont été amenées par les corps expéditionnaires, on ne peut plus y toucher parce que ce sont des collections publiques ». Mais si, on peut. Par la loi. Par exemple après les exactions nazies, pendant lesquelles il y avait eu saisie de biens juifs dont des œuvres d’art, on a restitué les biens et on a rétabli des droits. Donc, d’abord, c’est une forme du droit international qui redevient vivante.
Mais ce qui est assez intéressant, c’est que je crois savoir que François Hollande, viendra à Cotonou pour voir l’exposition. C’est symbolique que celui qui avait dit au président Talon : « Non. Ce n’est pas possible, il faut qu’on trouve d’autres solutions, on va vous les prêter, si vous voulez », vienne ici. C’est une façon de dire par là : « Mon successeur a bien fait ». Mais on verra.
Un autre sens est qu’on récupère de la mémoire et de la fierté, parce que c’est des œuvres d’une très grande force que tout le monde ne connaît pas. En 2006, elles étaient déjà venues en prêt à la fondation Zinsou pendant trois mois, et c’était frappant. D’abord, il est venu près de 300 000 personnes, et les gens pleuraient devant ces œuvres. Ce sont des œuvres exceptionnelles. Donc on retrouve de la mémoire, la fierté et l’émotion qui va avec ça.
Le dernier sens est celui-ci : qui est-ce qui s’est enflammé pour ça ? Les jeunes. Il n’est pas exclu que les gens de ma génération aient été résignés, voire même, aient intériorisé qu’on ne serait pas capables nous-mêmes de les conserver convenablement parce qu’on n’avait pas des musées aux normes. La jeunesse, elle, sait qu’on peut. Je savais d’une certaine manière, grâce à ma fille Marie-Cécile [Qui dirige la fondation Zinsou, NDLR], qu’on pouvait prouver qu’on avait tout à fait les moyens scientifiques, techniques, de conserver ces œuvres, et de les montrer au public. En 17 ans de travail de la fondation, on a eu des millions de gens qui venaient voir des œuvres d’arts contemporaines, mais aussi des œuvres historiques.
C.M: Le pays se débat actuellement avec les retombées socio-économiques de la crise du coronavirus. Que répondez-vous à ceux qui pensent que les vraies priorités sont ailleurs ?
L.Z: D’abord, on nous a restitué ces œuvres gratuitement. Donc je ne suis pas sûr qu’il y ait un arbitrage. Si ça nous avait coûté énormément d’argent de rentrer dans nos droits, on aurait pu se poser la question de savoir s’il faut dépenser quelques milliards pour la culture alors qu’on aurait pu les dépenser dans les salaires. Mais ce n’est pas le cas, nous n’avons pas à arbitrer.
Ensuite, quand vous voyez la qualité exceptionnelle de l’exposition que des centaines de milliers de Béninois verront à la présidence, vous avez la preuve qu’on est capables d’avoir une présentation de ce patrimoine aux meilleurs standards mondiaux. Ce que les Béninois vont découvrir au palais, sur 2000 m2, si c’était un musée, ce serait l’un des plus beaux musées du monde. Et j’ai vu pas mal de musées, vu notre travail avec la fondation.
On a la chance d’être dans un univers de tolérance, où les communautés, depuis longtemps maintenant, font beaucoup plus nation et ont plus la volonté de vivre ensemble, que d’autres pays.
Le Bénin va donc devenir une destination. C’est évident. Nous avons les artistes contemporains, nous avons les œuvres historiques, nous avons les sites historiques classés au patrimoine mondial de l’UNESCO. Nous avons des villes de mémoire comme Porto-Novo et Ouidah qui sont des villes ayant des éléments patrimoniaux sublimes. Nous deviendrons une destination et ceci entraînera évidemment du tourisme, et créera des emplois. Par conséquent, nous sommes très loin d’être un arbitrage où on dépenserait des milliards au lieu de les mettre dans des projets sociaux. C’est un projet social. Ce n’est pas seulement un projet culturel, c’est aussi un projet économique et social.
C.M: Cette exposition participe donc à l’ambition du gouvernement de faire du Bénin une destination touristique et d’utiliser le secteur comme un levier de développement. Mais comment y arrive-t-on dans une sous-région en proie à la contagion terroriste ?
L.Z: L’enjeu, c’est qu’il faut maintenant prémunir le Bénin de la contagion terroriste. Pas seulement pour le tourisme. Pour la vie quotidienne des gens aussi. Pour leur sécurité, leurs équilibres alimentaires, les services publics de santé et d’éducation. Quand les terroristes créent des zones de non-droit, il n’y a plus de médecins, plus d’instituteurs, plus de policiers, de juges. Tous les services publics disparaissent. Donc ce n’est pas que pour le tourisme qu’il faut prémunir le Bénin de la contagion terroriste.
On a une chance qu’il faut absolument qu’on utilise, c’est qu’on est dans un pays de tolérance religieuse. On n’est pas, comme certains autres pays de notre région, dans des prosélytismes religieux hostiles. On n’a pas de ces combats millénaires entre certaines communautés, qui n’ont pas les mêmes traditions. On a la chance d’être dans un univers de tolérance, où les communautés, depuis longtemps maintenant, font beaucoup plus nation et ont plus la volonté de vivre ensemble, que d’autres pays. Il faut vraiment tout faire pour se prémunir du terrorisme par encore plus de tolérance et encore plus de volonté de faire nation.
CM: N’y aurait-il pas besoin d’un accompagnement plus fort des partenaires au développement aussi ?
LZ: Le développement est toujours endogène. En fait, nos populations et nos institutions se suffiraient à elles-mêmes, en vérité. Par exemple, on parle beaucoup des investissements directs étrangers (IDE). Ça a de grands mérites qualitatifs d’avoir des investisseurs étrangers, mais dans un pays comme le nôtre, les IDE, c’est moins de 5 % de l’investissement. Donc 95 % de l’investissement au Bénin provient des Béninois. Y compris dans le secteur informel, qui investit aussi. Quand vous équipez votre magasin ou que vous achetez des meules électriques pour faire du gari, ça s’appelle aussi un investissement. Quand vous achetez un tracteur, que vous soyez déclarés ou pas, que vous apparteniez au secteur formel ou informel, vous êtes en train d’investir. C’est toujours endogène. Cela dit, plus il y aura d’investisseurs et de gens prêts à subventionner des opérations sociales et productives plus on ira vite. Le rôle des partenaires ce n’est pas de créer le développement, c’est de l’accélérer.
C.M : Vous aviez créé la polémique il y a quelques années en déclarant que l’Afrique appartenait à l’Europe. Au vu de l’actualité récente, au Mali par exemple, avez-vous le sentiment que quelque part, l’Europe en général et la France en particulier sont en train de perdre l’Afrique ?
LZ : C’est amusant, parce que vous revenez sur quelque chose qui avait été assez important durant la campagne électorale [de 2016, NDLR]. C’est de m’avoir fait dire : «L’Afrique appartient à l’Europe et l’Afrique francophone appartient à la France ». Ce propos était bien évidemment tronqué. Je n’ai jamais dit ni pensé ça. J’ai passé une grande partie de ma vie professionnelle à dire que l’Afrique était capable de sa croissance et qu’elle était en pleine croissance. Et ceci quand personne ne le voyait.
Mon propos était très précis : les Européens croient que la Chine est en train de coloniser et de posséder l’Afrique. Mais quand on regarde le stock de capital qui est en place, pour des raisons historiques, l’Europe est encore devant. Le Portugal par exemple possède plus d’actifs en Afrique que la Chine. On se laisse tromper par le fait que la Chine finance ou subventionne des infrastructures nouvelles. Mais quand on prend les entreprises, le capital productif, les banques, les compagnies d’assurance, etc. l’Europe domine la Chine de façon écrasante dans le domaine productif. Les gens confondent : « C’est la Chine qui a fait le port, c’est la Chine qui a fait la route, c’est la Chine qui a fait le siège de l’Union africaine, c’est la Chine qui a construit tel stade,» et le capital productif.
La France en Afrique, en termes d’investissements et courants d’échanges, travaille avec le Nigeria, l’Egypte et l’Afrique du Sud. Pourquoi ? Parce qu’à eux trois, ces pays représentent 60 % du PIB de l’Afrique.
À qui appartiennent les cimenteries, les terminaux dans les ports, les concessions automobiles ? C’est l’Europe. Je parlais à un public européen en disant : «Vous pensez que la Chine possède l’Afrique. Mais c’est vous qui possédez l’Afrique.» Et la fin de ma phrase, c’était : «Et maintenant vous allez avoir une surprise, c’est que l’Afrique est en train d’investir sur elle-même et que les réseaux historiques vont petit à petit s’évanouir. Après avoir fait l’erreur de penser que c’était la Chine qui possédait l’Afrique, vous allez vous apercevoir que c’est l’Afrique qui possède l’Afrique.».
Je cite souvent ce chiffre qui, pour moi, est assez important : selon les périodes et selon les pays, le maximum que peut atteindre l’investissement direct étranger dans nos pays, c’est entre 5 % et 20 % de l’investissement. C’est l’Afrique qui investit en Afrique en réalité. Et donc mon propos, c’est : « Vous croyez que c’est la Chine, mais pour l’instant, c’est l’Europe qui possède le maximum d’usines et de services en Afrique et vous allez faire une autre erreur, c’est de ne pas voir que, quand on prend tous les flux, c’est l’Afrique qui possède l’Afrique maintenant. » donc on a découpé ça et ça a donné, l’Afrique appartient à l’Europe et le Bénin appartient à la France.
Il faudrait que les francophones arrêtent d’avoir une géographie imaginaire de la France en Afrique.
LIONEL ZINSOU
C.M: Mais avez-vous le sentiment d’un déclin français en Afrique ?
LZ : Est-ce que la France est en train de perdre l’Afrique ? Il faudrait que les francophones arrêtent d’avoir une géographie imaginaire de la France en Afrique. La France en Afrique, en termes d’investissements et courants d’échanges, travaille avec le Nigeria, l’Egypte et l’Afrique du Sud. Pourquoi ? Parce qu’à eux trois, ces pays représentent 60 % du PIB de l’Afrique.
Nos pays, même la Côte d’Ivoire, même le Cameroun, sont très très loin des vrais courants d’investissements et de commerce français. L’Économie française a très très peu d’intérêts en Afrique francophone. Les gens sont en arrêt sur image. Ils croient que la France a besoin de l’uranium du Niger. Elle n’en a pas besoin parce qu’il y a de l’uranium partout. Ils croient que la France est intéressée par les mines du Mali. Or, ces mines appartiennent aux Sud-africains, aux Ghanéens, aux Émiratis, aux Marocains. Il n’y a pratiquement aucune présence française dans les mines du Mali ou du Burkina Faso. On est en arrêt sur image. La Françafrique est ailleurs que ce que pensent nos amis qui nous annoncent le déclin de la France.
C.M: Où se trouvent alors les intérêts français en Afrique aujourd’hui ?
LZ: Quand la France vend des bateaux Mistral, des porte-hélicoptères et des Rafales à l’Egypte, je vous assure que ça représente plusieurs décennies de commerce avec le Bénin. Par ailleurs, le premier partenaire commercial du Bénin, c’est la Chine. Et le deuxième, c’est l’Inde. Et c’est désormais vrai dans presque tous nos pays d’Afrique subsaharienne.
Il y a des pays qui sont des pays presque européens dans leurs économies, où la France et presque toute l’Europe ont plus d’importance. Il s’agit du Maroc et de la Tunisie. Ce sont des cas particuliers. Ils ont des échanges avec l’Union européenne extrêmement forts. Sinon les parts de marché de la France en Afrique ne sont pas là où on pense qu’elles sont fortes. Les intérêts de la France sont ailleurs, là où il y a la vraie richesse.
Le Nigeria est la plus forte croissance de ventes du groupe LVMH en Afrique. Et même pour le champagne Moët-Hennessy, c’est la plus forte croissance au monde. Quand vous avez 200 millions de Nigérians, vous avez Total, Lafarge, etc. Que voulez-vous que je vous dise ? Il faudrait rompre avec l’imaginaire.
Que les gens de ma génération croient que la France est en train de décliner parce qu’elle était très puissante, passe encore. Au moins, que les jeunes regardent les chiffres et cessent de réfléchir comme si on était en 1961 et se dire : « Il faut qu’on se débarrasse vite de la France. » Tout ça est accompli déjà. La France est ailleurs.
C.M: Le monde sort péniblement d’une pandémie qui a sévèrement affecté les économies africaines, l’heure est-elle toujours à l’afroptimisme?
LZ : Le covid est un désastre pour l’Afrique. Pas tellement parce que ça a été ce que tous les afro-pessimistes annonçaient, c’est-à-dire que l’Afrique serait le continent qui allait avoir le plus de morts. C’est le continent qui en a eu le moins. Pas parce que c’est un continent que les afro-pessimistes définissent comme très mal organisé, avec une très mauvaise gouvernance, et un très mauvais système de santé. En réalité, voyant ce qui s’est passé en Europe, à savoir une réaction lente un peu désordonnée, il y a des pays africains qui sont allés très vite. Et notre pays fait partie des pays qui mieux géré que beaucoup de pays riches. Le Maroc et le Rwanda aussi sont allés très vite.
chez nous, ce qu’on voit de la reprise, c’est d’abord qu’il y a eu moins d’aides aux entreprises et moins d’aides pour soutenir le revenu des familles
LIONEL ZINSOU
Mais ça reste une catastrophe parce qu’on était bien plus pauvres que les pays riches qui ont eu beaucoup plus de morts. On a eu beaucoup plus de gens qui ont des revenus journaliers qui ont été perturbés. Pour nous, c’était une crise sanitaire moins grave que le reste du monde, mais une crise sociale plus grave. Et même la reprise économique est plus compliquée pour nous que pour les pays riches.
On a actuellement une croissance de rattrapage extrêmement forte dans le monde entier. La France a fait une croissance de 7 % qu’elle n’avait jamais faite. Or chez nous, ce qu’on voit de la reprise, c’est d’abord qu’il y a eu moins d’aides aux entreprises et moins d’aides pour soutenir le revenu des familles. On assiste aussi à une hausse des prix liée au fait que le monde entier est en surchauffe. Les transports coûtent beaucoup plus cher, l’énergie coûte beaucoup plus cher.
On peut se consoler en disant que notre coton coûte beaucoup plus cher. On gagne plus sur le café et l’or entre autres. Mais les populations ont reçu beaucoup moins de secours. Les Américains par exemple ont réussi à maintenir leur revenu ou à l’augmenter significativement durant la pandémie. Pas nous. Nous, on a eu plus d’effet de crise sociale que dans les pays riches. Et c’était tout l’enjeu du dernier sommet UA-UE qui portait sur la distribution de concours financiers à travers les droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international (FMI).
C.M: Justement, comment l’Afrique peut-elle relancer son économie post-covid ?
LZ : On a remis pour l’Afrique entière 33 milliards $, qui font 1,2 % du PIB du continent. C’est une petite fraction de ce que les pays riches ont réussi à mobiliser. On essaie de passer de 33 milliards à 100 milliards $ pour atteindre 3 % du PIB africain, et de façon à permettre de faire décoller une reprise saine. Nos populations souffrent dans la reprise, alors qu’il y a des pays où ces populations se reconstituent dans la reprise.
Le président Macky Sall en a fait le grand thème de sa présidence de l’UA. Nous ne voulons pas rater la reprise parce qu’on nous contraindrait à réduire le déficit budgétaire, à ne pas lever de la dette. Tout le monde a levé de la dette, et c’est sur nous qu’on pointe le doigt ! Et pourtant, nous sommes le continent le moins endetté. Et ceci non seulement en dette publique, mais aussi en dette privée. Pour le secteur privé, on est endettés à 1/10ème du niveau de certains pays riches. Même pour le secteur public, on est le continent le moins endetté. Et c’est incroyable, mais c’est sur nous que des orthodoxes, des pessimistes, des conservateurs pointent le doigt en disant : « Assez ri ! Maintenant, vous allez revenir à la bonne orthodoxie.». Ce n’est pas possible à entendre comme discours. C’est le président de l’UA qui a raison de dire, «maintenant, on va rendre cette reprise efficace et acceptable socialement.»
C.M : En parlant de la dette, il y a eu cette opposition entre les ministres des Finances sénégalais et béninois sur la suspension de la dette. Et la posture du ministre béninois Romuald Wadagni avait été de ne pas suspendre la dette privée. Avec le recul, était-ce la chose à faire ?
LZ : J’ai écrit tout de suite dans Jeune Afrique que c’était la chose à faire. Oui ça a fait polémique parce qu’il y avait une position de l’UA qui était : «Réduisez nos dettes ». Et je crois que la position du Bénin et de beaucoup d’économistes était : « Oui, réduisez seulement nos dettes vis-à-vis des institutions de développement.»
Dans le cas du Bénin par exemple, notre taux d’intérêt baisse de 100 points de base, donc 1%, chaque année, à chaque émission.
LIONEL ZINSOU
Sur le marché des capitaux, nous avons mis 15 ans, comme continent, à avoir une signature respectée. En réalité, il y a très peu de défauts africains. Il y a certes l’Erythrée et le Zimbabwe, mais ce ne sont pas des pays qui comptent de façon très importante dans la dette totale du continent. Notre signature a donc gagné en qualité. Dans le cas du Bénin par exemple, notre taux d’intérêt baisse de 100 points de base, donc 1%, chaque année, à chaque émission. C’est-à-dire que tous les ans, les gens sont prêts à prêter au Bénin en particulier, à moins cher. Et ça, c’est lié à la qualité de la signature. Notre position était donc : « Ne faisons pas défaut, ne demandons pas à ne pas honorer la dette vis-à-vis des marchés financiers.»
En revanche, je crois que personne n’a le moindre problème à dire oui, si du côté de la Banque mondiale, de la Banque africaine de développement (BAD), et des institutions dont c’est le rôle de faire du développement, ils sont prêts à reprofiler notre dette. Ces institutions ont accepté de la suspendre, et elle sera encore suspendue pendant quelques mois. Cette suspension donne une bouffée d’air. Mais le tiers seulement de la dette africaine est sur les marchés internationaux via ce qu’on appelle les euro bonds. Ce sont des obligations du trésor qu’on arrive à placer dans le monde entier. À ce niveau, franchement, je crois qu’on avait eu raison de dire : « Ne demandons pas la suspension du remboursement parce qu’on a mis des années à crédibiliser notre signature ».
Je sais que ça n’a pas seulement opposé tel ou tel ministre des Finances de tel ou tel pays. Ça a fait polémique même à l’intérieur du Bénin. Ici, il y avait des gens qui disaient que ce n’était pas bien de prendre cette position alors qu’on avait peut-être une possibilité d’obtenir une réduction de la dette.
Moi, j’ai pris cette position-là parce que, quand j’étais arrivé au gouvernement, tout l’endettement du Bénin était à un an, et en franc CFA. Maintenant, il est en dollars, en euro, en FCFA, il est varié. On est à des taux d’intérêts qui sont 40 % plus bas. Les dernières émissions du Bénin, c’est une tranche à 10 ans et une tranche à 30 ans. Quand on a la possibilité de s’endetter à 30 ans, on peut faire des projets qui ont le temps de s’amortir. Et on a fait un progrès énorme par rapport à avoir des dettes exigibles l’an prochain. Parce que si vous avez une maladie du coton, des invasions de criquets comme en Afrique de l’Est, une sécheresse comme dans les pays sahéliens, vous êtes en défaut l’an prochain. Or, là, ce n’est plus le cas. Donc garder la qualité de la signature est une très bonne idée. Et l’Afrique a pu continuer d’aller sur les marchés et de pouvoir lever les ressources qu’il lui fallait.
C.M: Le président béninois Patrice Talon déclarait il y a quelques années que le risque en Afrique est surévalué et que ça se traduit sur le coût de la dette de nos pays. Partagez-vous ce sentiment ?
LZ: Oui, et j’ai été content que le président Talon le dise. Et j’ai été également content que le président Macky Sall le rappelle. Et je suis d’autant plus content de l’avoir dit depuis à peu près 15 ans dans le monde financier.
À notation égale du pays, si on est en Asie ou en Amérique latine, on paie moins cher la dette que l’on place sur le marché que si on est en Afrique. Aujourd’hui, le niveau d’information sur l’Afrique est faible, en dehors de l’Afrique et sur le continent lui-même. Alors il suffit qu’on dise : « Ah, il y a un pays africain en défaut» pour que ça affecte les autres. Alors l’Erythrée est en défaut. Le Zimbabwe et la Zambie aussi. C’est triste. Mais ils représentent quoi ? 5 % du PIB ? Et à eux trois, ils pénalisent les 95 % restants. Les investisseurs se disent, en Afrique, on sait bien qu’il y a des défauts. Mais attendez ! Le fait que la Grèce ait été en défaut n’a pas compromis le jugement sur l’Allemagne. Les gens nous considèrent comme un seul pays qu’ils ne connaissent pas. Et donc il faut qu’ils nous connaissent. Il faut donc qu’on parle de nous-mêmes. Il faut qu’on explique : « L’Afrique n’est pas en défaut ».
Et c’est peut-être d’ailleurs pour ça que ne pas se mettre volontairement en défaut quand on pouvait faire le service de la dette commerciale, c’était assez important. Donc oui, le risque est encore surévalué.
CM : Comment améliorer cette situation?
LZ : Il y a des signes avant-coureurs de progrès. Quand la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) a fait une émission il y a un an destinée à des projets de transition énergétique sur l’ensemble de l’Afrique de l’ouest, on a levé à 2,75%. 2,75 %, c’est la moitié du taux d’intérêt d’il y a cinq ans et c’est le tiers d’il y a dix ans. Donc on reconnaît enfin que le risque est plus faible qu’il y a cinq ou dix ans. Et le plus intéressant, c’est que ce sont des Asiatiques qui ont souscrit pour 40 % alors que ce sont ceux qui connaissent peut-être le moins l’Afrique, et ils étaient absents des émissions. Et là, pour la BOAD, ils sont venus à 40 % de l’offre de liquidités.
Ce sont des signes avant-coureurs qu’on arrive à s’expliquer, à aller sur le marché, à dire : « Nous ne serons pas en défaut. Nous ne sommes pas sur-endettés. Et nous avons plus de croissance que les autres.» Qui a plus de croissance que l’UEMOA? Quelques pays d’Asie. Point. Donc il faut qu’on nous connaisse pour nos qualités. C’est un peu comme dans l’art contemporain. Les gens ne savent pas quels sont nos talents. Et c’est pour ça qu’il faut faire des expositions de nos talents artistiques et de nos talents financiers.
Propos recueillis par Aaron AKINOCHO